Afrolatin via KinshasaJuin 2013 / Albums / République Démocratique du Congo
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Afrolatin via Kinshasa

Discograph
Un cocktail qui fleure bon les tropiques congolais.

 

NB aux lecteurs : C’est dans une nganda (petit restaurant congolais) diffusant un fond de rumba ultra saturé et dans une ambiance chahutée, une douce primus (bière congolaise) tiède à la main, que l'album Afrolatin via Kinshasa s’appréciera le mieux.

Si cela n’est pas possible, essayez de vous représenter le tableau !

Docteur Nico, Franco, Grand Kallé et Tabu Ley Rochereau sont dans un bateau

Afrolatin via Kinshasa raconte les amours et désamours liant les destins des leaders de la rumba congolaise, leurs utopies politiques ainsi que leurs innovations rythmiques et mélodiques.

Cette histoire débute avec l’African Jazz de Joseph Grand Kallé, formé en 1953, et qui devient vite la référence avec son morceau dont nul ne peut ignorer l’existence : Indépendance Cha Cha Cha, sorti en 1960. Il est le premier orchestre congolais à incorporer des instruments tels que le tuba et la trompette, ainsi qu’à mélanger les saveurs de la langue française, espagnole et du lingala.


Grand Kallé et l'African Jazz - Indépendance Cha Cha Cha

 

Aussi, Gauche Droite = débordement, mêlant français et lingala, et Carrefour Addis Abéba, célébrant la nouvelle Organisation de l’Unité Africaine sur fond de rythmiques percussives et de cadences cubaines à vous libérer de vos chaînes, sont en bonne place dans la compilation Afrolatin via Kinshasa. L’African Jazz et son leader, joueront les figures de proues de la rumba, et les autres orchestres congolais n’auront de cesse de s’en inspirer jusqu’à la fin de cet âge d’or, vers 1970.

Un autre personnage fait rapidement son entrée sur scène pour devenir une pure machine à tube. On l’appelle Docteur Nico. Surnommé ainsi par un journaliste belge en 1960, pour sa dextérité à manier la guitare, il gardera ce titre tout au long de sa carrière de leader au sein de l’orchestre African Fiesta, prenant plus tard le nom d’African Fiesta Sukisa.

À l’écoute de Sukisa Liwa Na Ngai sur l’album, la guitare solo apparaît soutenir avec finesse les voix mélodieuses des chanteurs. À l’écoute de Mambo Hawaïen, on la découvre tantôt minimale, tantôt technique ou mélodique. 

 

Docteur Nico


L’Ok Jazz, présidé par son guitariste leader Franco, va, quant à lui, donner une nouvelle orientation à cette musique. Orchestre prolifique à l’extrême, les morceaux binaires (en deux temps) aux rythmes simplifiés s’enchaînent, portant aux nues ce groupe populaire au succès formidable. On retient dans ce double album, le mélodique Chéri Lovyi, le festif Rythmo de l’Ok Jazz et pour continuer dans la thématique de l’amour déçu, le très rythmique et électrique Ma hélé.


Une vidéo de Franco et l'Ok Jazz... bien croustillante !


Une autre figure tutélaire de la rumba, à la voix sucrée et aimant saupoudrer sa musique d’une pincée de soukouss têtard, est Rochereau qui deviendra en 1965 Tabu Ley. Difficile de rester de marbre en écoutant sur l'album Afrolatin via Kinshasa, l’enthousiasmant Tu son, polyrythmique et aux savantes tonalités congolaises, et le romantique et suave à souhait, Maria Maria.

ZOOM

Des histoires d’amour pures, une union des genres inédite, une incroyable fraicheur rythmique et un soupçon de politique : j’ai nommé la rumba !

C’est en hommage aux papas de la rumba, à ces athlètes qui, dès 1940, passent maîtres dans l’art d’unir les musiques latines à leurs racines africaines, que la série Afrolatin voit le jour.

Avec le commerce triangulaire entre l’Afrique, les Amériques et l’Europe, le début du XXème siècle est marqué par de nombreuses vagues d’explorations. « De ville en ville, de port en port », à Saint-Louis, Dakar, Conakry, Abidjan, Cotonou, Porto Novo, Lagos, Douala, Luanda ou Kinshasa, l’influence de ces allers et venus commerciaux se fait sentir.

Une acculturation, qui sera réciproque, s’opère. Les grandes villes, en acquérant progressivement l’électricité, en profitant de ces échanges culturels et technologiques, deviennent les vitrines laissant entrevoir les différents mondes qui les traversent, y cohabitent et s’y mélangent.

Avec les 78 tours apportés dans les valises de festifs et joyeux marins, les musiques caraïbéennes, cubaines (son, guajira, boléro, pachanga, biguine, merengue et cha cha cha), jazz et rythm’n’blues s’adonnent à des ébats savoureux avec les rythmes et sonorités locales.

Emerge ainsi ce nouveau genre furieusement dansant et affreusement mélodique : la rumba.

Eva Dréano