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L’iconoclaste Carmen de Dada Masilo

Après l’époustouflant succès de Swan Lake en 2014, la danseuse et chorégraphe sud-africaine en vogue s’attaque de nouveau à un monument du répertoire occidental : Carmen. L’énergie, la modernité et l’engagement de l’artiste transcendent l’œuvre de George Bizet.

Sur scène, une quinzaine de danseurs. Ils sont pieds nus et portent des habits évoquant les volutes des robes sévillanaises.

Ensemble, ils interprètent une Carmen qui aurait probablement pu séjourner entre Séville, Johannesburg et Bruxelles.

Les solos et pas de deux sont explosifs et allient à merveille des influences classiques, traditionnelles et contemporaines.

Les scènes sont pleines d’une énergie non-académique. Notamment lors de la première rencontre de Don José et de Carmen. La scène est sensuelle et emplie d’une charge sexuelle forte.

Egalement, lors du combat final qui oppose Don José, fou d’amour pour Carmen et Escamillo, toréador et autre prétendant de Carmen. L’interprétation est fluide et d’une violence extrême. Elle évoque la mise à mort du taureau.

Le ballet s’achève avec la mort de Don José. Ce point final tragique s’oppose à l’œuvre originale se terminant avec la mort de Carmen assassinée par son amant Don José.

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A 16 ans, Dada Masilo assiste à une représentation de Carmen de Mat Ek. Elle reste marquée par cette interprétation et voit dans la jeune bohémienne, une femme insoumise et cruelle.

Quelques années plus tard, elle trouvera dans cette œuvre l’opportunité d’aborder les problématiques sociales qui la touchent. Et c’est cela qu’elle aime dans les classiques : ils lui permettent d’aborder des sujets universels – tel que l’amour, la mort, l’ambition, la douleur… - et de mettre en exergue sa propre lecture de ces sujets. A travers eux, elle parle de sa ville et de sa culture d’origine, Johannesburg et la culture populaire de Soweto.

Avec Swan Lake (2012), par exemple, elle avait offert au public une représentation hors norme du ballet de Piotr Ilitch Tchaïkovski. En filigrane du spectacle, on découvrait une image de la société sud-africaine bouillonnante, cosmopolite, hétéronormée et où la violence faite aux femmes était courante. Le ballet avait surpris et emporté la critique, le public et le milieu de la danse contemporaine.

Avec Carmen, Dada Masilo présente une vision de la femme moderne : un être caractériel, tout puissant qui s’affranchit de tous les codes d’une société bien trop corsetée.

Seuls bémols à son interprétation détonante de Carmen, la narration et la musicalité. Laconiques et trop peu développées, elles nous laissent sur notre faim. Dada prend des libertés avec le récit original et ses ellipses rendent difficile la compréhension de la complexité des personnages.

Les scènes fortes, violentes et énergiques auraient probablement gagnées en sensibilité si elles avaient été soutenues par une narration plus solide. Le parti pris musical n’est pas non plus clairement défini. Il aurait sans doute été intéressant de chercher une réelle ré-appropriation de la musique originale.

Les moments de dialogue en tswana (ndlr : langue maternelle de Dada Masilo) donnent plus de caractère et d’identité aux personnages. Peut-être aurait-il fallu creuser de ce côté-là également pour assumer une scénographie s’attachant plus à la puissance scénique des personnages qu’à la musicalité de Carmen.

ZOOM

Dada Masilo, née pour danser

Née en 1985 à Soweto, en Afrique du Sud, Dikeledi de son vrai prénom, commence la danse à l’âge de 12 ans. Elle est alors autodidacte.

En 1996, elle participe avec son groupe de copines The Peacemakers. à la Dance Factory de Johannesburg. Suzette Le Sueur, la directrice du lieu s’intéresse à elles. Elles suivent avec elle un enseignement classique et contemporain.

En 2005, Dada participe aux cours de la prestigieuse école de Bruxelles, la PARTS - Performing Arts Research and Training Studio.

Depuis, Dada Masilo s’est faite connaître sur la scène internationale pour son interprétation survoltée et engagée de classiques tels que Roméo et Juliette (2008) et Swan Lake (2010).

2015 ? Ce sera pour elle l’occasion de se replonger dans les danses traditionnelles tswana. L’idée ? Revisiter à nouveau une œuvre classique à travers le prisme de sa culture métissée. L’œuvre ? Le Sacre du printemps d’Igor Stravinsky. Tout un programme qu’on a hâte de voir sur scène.

 

Eva Dréano