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Villa des femmes de Charif Madjalani

Un canevas baroque somptueux mêlant saga familiale, fresque historique et pastiche de romans d'aventure !

Nouvelle variation sur une thématique chère à l'auteur – la grandeur et la décadence des grandes familles libanaises -, Villa des femmes, à la langue envoûtante et à l'imaginaire flamboyant, opère un focus saisissant sur les femmes de ces fratries qui s'affranchissent de la société traditionnelle patriarcale.

Ayn Chir, proche banlieue de Beyrouth. La cueillette des oranges ou le ramassage des pignons de pin, les vergers à perte de vue, les réceptions fastueuses, l'odeur de linge bouilli, le bruissement des bonnes, le défilé permanent des livreurs...

C'est avec tendresse, mélancolie et humour que Noula, le chauffeur des Hayek, dépositaire des secrets de la villa, donne vie à l'âge d'or du clan, à travers une palette chromatique et sensorielle.

Celui qui fut surnommé Requin-à-l'arak suite à ces facéties culinaires raconte comment au milieu des années 60, le patriarche Skandar Hayek règne sur un négoce de tissu prospère, ses terres et son clan.

« Il était difficile à cerner, imperturbable et tenace, ne s'occupant jamais des affaires domestiques, jamais des petits détails de la vie, seulement des questions qui conditionnaient la pérennité de ce monde, la mainmise sur la municipalité, l'alliance politique avec les chefs chiites du clan Rammal de Hayy el-Bir, l'usine et sa clientèle arabe, les chevaux […] ».

Charif-Majdalani


Sous cette figure d'homme de poigne qui fait et défait les destinées des membres de la maisonnée, Hayek, marié à Marie, qui lui a donné trois enfants, dont Karine, sa fille chérie, est un homme juste et bon avec les siens. Rien ne semble pouvoir ternir la paix de la famille.

Certes, des lignes de fracture émergent derrière les murs de la villa : mariage d'intérêt, amours contrariées, rivalités intestines entre Marie et Mado, sa belle-sœur acariâtre qui vit sous le même toit, mésentente entre générations,... mais la conscience d'appartenir à un même clan, qu'il faut protéger de l'extérieur, est le meilleur des ciments.

Toutefois, cet ordre que l'on croyait indestructible commence à vaciller avec les prémices des bouleversements politiques et sociétales qui s'exacerbent après le soulèvement du camp palestinien voisin en 1969. Et pendant que le fils cadet, Hareth, parcourt l'Extrême-Orient en quête d'aventures et d'exotisme, et que le fils aîné, noceur et volage, passe le plus clair de son temps à folâtrer, le clan entame son inexorable déclin.

C'est aussi l'époque de la guerre du Liban. Dans ces temps troubles, où la société est régie traditionnellement par les hommes, ce sont les femmes de la famille qui reprendront en main le domaine. Faisant fi des profonds désaccords qui existent entre elles, elles espèrent le retour d'Hareth, le seul qui pourrait leur prêter main forte.

Assoiffé d'ailleurs et « las de ce monde ancien fait de trop grandes maisons », ce dernier découvre Bagdad, devient armateur, s'acoquine avec des bédouins, pousse jusqu'à Zanzibar, participe à l'expédition d'invasion des îles du Verseau. Des aventures sur terre et sur mer qui n'ont rien à envier aux histoires folles de son enfance mettant en scène des Indiens ou les conquérants du Mexique !

Si le personnage de Mado, à l'héroïsme suicidaire, ainsi que le destin implacable s'écrasant sur ce trio, dans un huis clos exacerbé par le récit en contrepoint de l'odyssée du cadet, font affleurer l'atmosphère d'une tragédie, ces trois femmes vont revêtir la pugnacité d'amazones face aux coups de boutoir de l'Histoire et de la bêtise des hommes.

Et Charif Madjalani de rendre hommage à celles qui sont trop souvent réduites au simple rang de témoins : « Salloum se moqua de lui, le traita de « femme », et ce fut le dernier mot qu'il prononça, un mot que Hareth trouva d'une violence extrême, parce que cet homme n'avait pas compris que c'étaient des femmes qui lui avaient tenu tête, à lui et à ses guerriers, qui avaient tenu tête à tout pendant des années, et que c'était un hommage que de se faire traiter de « femme » ».


Villa des femmes - Charif Majdalani (Rentrée Littéraire 2015)


ZOOM

L'œuvre de Charif Madjalani, une odyssée libanaise

Né au Liban en 1960, Charif Madjalani a quinze ans lorsque éclate la guerre civile.

Il part ensuite en France pour suivre des études de Lettres modernes. Il revient au Liban en 1993 et se met à enseigner.

De 1995 à 1998, il travaille à L'Orient-Express, un journal engagé qui s'amuse alors à bousculer l'hypocrisie d'une reconstruction fondée sur l'amnésie. Il enseigne actuellement les lettres françaises à Beyrouth.

Auteur de quatre romans, Histoire de la Grande Maison (2005), Caravansérail (2007) et Nos si brèves années de gloire (2012) qui constituent un triptyque et Le dernier seigneur de Marsad (2013), l'auteur libanais construit inlassablement le grand roman national du Liban.

Sarah Gastel