Bandes dessinées /

Les esclaves oubliés de Tromelin de Sylvain Savoia

Dupuis

La reconstitution de l’histoire du terrible naufrage d’un navire négrier du XVIIIème siècle.

C’est une île perdue au milieu de nulle part (en fait, elle est dans l’océan Indien à 500 km de La Réunion et à peu près autant de Madagascar), pas très grande (1,7 km de long et 700 m de large) et balayée par les vents et les tempêtes (7 m d’altitude au maximum).

En 1761, un trois-mâts français, « l’Utile », pratiquant la traite y fit naufrage et abandonna « sa cargaison » d’esclaves qui restèrent pendant 15 ans sans secours et dans le dénuement total.

Les esclaves oubliés de l'île Tromelin de Savoia est en fait un double récit : celui sous la forme d’un reportage dessiné d’une expédition archéologique française à laquelle pris part l’auteur en 2006, et celui de la vie des naufragés qui pendant de longues années durent lutter pour survivre dans un environnement hostile.

Planche-Les-esclaves-oublies-de-Tromelin

C’est tout l’intérêt de cet ouvrage qui présente les découvertes archéologiques faites à cette occasion, ce qui permet de reconstituer les conditions de la survie.

Par contre le parti-pris d’alterner des pages sur le récit du naufrage et de l’expédition proprement dite a l’inconvénient de casser le rythme de l’histoire.

Car autant les pages sur le naufrage et la vie des rescapés sont denses, passionnantes et riches graphiquement, autant les pages consacrées à l’expédition sont moins magiques, la vie quotidienne d’une expédition archéologique étant par nature moins spectaculaire.

On se prend parfois à regretter cette organisation de l’ouvrage en sautant des pages qui vous empêchent de suivre le récit, tant on est pris par l’action.

Car sur le plan dessin, découpage des cases, colorisation l’auteur, Savoia, maîtrise parfaitement bien son sujet. Les séquences s’enchaînent rapidement. De ce point de vue, les pages décrivant le naufrage vu du côté des esclaves sont superbes.

Pour qui découvre cet épisode peu reluisant de l’histoire de la marine française, en sort étonné, sonné même, de cette tragédie où tous les aspects de l’âme humaine s’affichent sans retenue dans ce champ clos : rivalité, haine, colère, vengeance, trahison et même fidélité et amour…


Visitez l’exposition : « L’histoire oubliée des esclaves de Tromelin »
Du 17 octobre 2015 au 30 avril 2016, au château des ducs de Bretagne à Nantes, cette exposition vous montrera des objets provenant des différentes fouilles archéologiques sur l’île de Tromelin qui permettent de mieux comprendre comment s’organisait la vie quotidienne des naufragés : construction d’un puits, création d’un hameau, fabrications d’outils et d'ustensiles. Vous pourrez aussi y voir des dessins de Sylvain Savoia croqués sur le vif et qui ont servit de base à la bande dessinée éponyme.

Les esclaves oubliés de l'île Tromelin

 

ZOOM

Laissés à l'abandon...

L’Utile, commandé par Jean de la Fargue, avait rejoint dans un premier temps l'île Maurice pour aller à Madagascar, où, contrairement à l’ordre du gouverneur qui craignait un blocus britannique des îles, il fit le plein d’esclaves pensant revendre à bon compte lors de son retour à Maurice.

Drossés par une tempête sur Tromelin, les esclaves survivants du naufrage – une soixantaine sur la centaine transportée, les quarante restants moururent enfermés dans le bateau – et l’équipage s’installèrent comme ils le purent.

En récupérant les restes de l’épave, ils réussirent à construire une nouvelle embarcation et l’équipage, faute de place, abandonna les esclaves à leur sort en promettant toutefois de leur envoyer rapidement des secours.

Ceux-ci mirent 15 ans à arriver, car le gouverneur, furieux de la désobéissance du capitaine, refusa de venir en aide aux malheureux.

Cette attitude scandaleuse finit par émouvoir en métropole (Bernardin de Saint Pierre, Condorcet…) mais la guerre de 7 ans repoussa seulement au mois de novembre 1776 l’arrivée des secours qui recueillirent les huit survivants restants…

Rédigé par 2Biville