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Ray Lema, un jazz africain décomplexé

Headbug, le dernier cru de Ray Lema, est bien loin d’être prise de tête.

A l’écoute du dernier album de Ray Lema, le grand compositeur et multi-instrumentiste congolais, votre esprit se libère, vos chakras s’ouvrent aux ondes musicales les plus vibrantes et votre corps se détend complétement.

Vous êtes prêts pour une exploration musicale en bonne et due forme !

Amoureux insatiable de musique et oreille absolument gourmande de découvertes, Ray Lema développe dans cet opus, accompagné d’Etienne Mbappe, Nicolas Viccaro, Iving Acao et Sylvain Gontard, un jazz au penchant groovy et explore les contrées musicales les plus diverses (funk, samba, afro-cubaine, chanson française).

Interview avec cet artiste iconoclaste et indéniablement libre.

Ray-Lema


Vous êtes un insatiable compositeur naviguant entre de nombreuses eaux musicales. Comment choisissez-vous les projets musicaux dans lesquels vous vous engagez ?

Ray Lema : Il y a deux volets dans mes projets musicaux. Je fais beaucoup de rencontres et il y a mes projets d'albums personnels.

Souvent, des gens qui ont entendu parler de ma réputation de gourmand et de ma capacité de sauter d’une musique à une autre, me contactent. Ce sont les gens qui viennent à moi et qui me demandent qu'on réalise quelque chose ensemble en essayant toujours de pousser mes limites, en approfondissant ma connaissance de mon instrument. Comme il y a beaucoup de pianistes et de guitaristes, souvent j'avance au gré de mon étude de ces instruments.

Avec Headbug, votre nouvel album, vous explorez de nombreux univers musicaux. Vous jouez surtout un jazz décomplexé. A quelle école apprend-on à jouer comme cela ?

Ray Lema : (rire) Je n'ai jamais été dans une école de jazz. Je suis juste un musicien passionné. Je suis devenu jazzmen à cause de mon amour du jazz et à cause d'une phrase de Miles Davis : « Le jazz est une attitude ». C'est comme ça que j'ai pu faire mes premiers pas dans le jazz, timidement.

Je me sens très humble dans ce domaine. Il y a dans ce domaine des institutions, des écoles. C'est très formaté. J'essaye sournoisement d'amener le jazz vers mon continent.

Les Africains n'arrivent pas apprécier le jazz classique. Lorsqu’on est instrumentiste, qu’on veut arriver à son maximum, on ne peut pas éviter le jazz et le classique. Pour le moment le jazz et le classique ne sont pas arrivés en Afrique. Je parle des Africains qui utilisent des instruments modernes. S'ils veulent aller loin dans la pratique de leurs instruments, ils doivent passer par le classique et le jazz. C'est ce souci éducationnel qui me pousse dans ces domaines.

Avec votre nouvel album, votre musique navigue entre plusieurs styles, à l'image de votre carrière musicale. On vous qualifie d'insatiable, d'éclectique. Quels sont les autres adjectifs que vous utiliseriez pour vous qualifier ?

Ray Lema : Je suis d'abord, je pense, un amoureux de la musique. J'ai commencé la musique par la musique classique et grégorienne. Ensuite, je suis devenu un guitariste rock. Je suis un pianiste de jazz. Ca fait déjà un cheminement qui fait que j'ai beaucoup d'influences en moi.

Quand j'écoute les compositeurs classiques occidentaux, je les porte en moi. Je trouve qu'ils sont allés très loin. J'ai également été confronté de près à ma culture traditionnelle. J'ai également été mandaté, plus jeune, pour étudier les traditions musicales, au Congo. Je ne suis pas si cérébral, je fais avec mes amours.

Quatre ans après VNSP, votre album précédent, vous revenez avec les mêmes musiciens (Ndlr : Etienne Mbappe, Nicolas Viccaro, Iving Acao, Sylvain Gontard). Le mariage avec ces musiciens était donc heureux ?

Ray Lema : Ah oui. Ces quatre-là, ils sont devenus une famille pour moi. On a tellement tourné ensemble. Maintenant on est habitué à jouer ensemble. En composant mon nouvel opus, j'ai pensé à eux. Ce sont de grands musiciens, ils sont très sollicités. C'est effroyable. Il y a aussi une ambiance humaine, très profonde, entre nous.

Avec Station Congo, vous retournez en République Démocratique du Congo après 30 ans d'absence. Cela a-t-il suscité en vous de nouvelles envies de projets avec l’Afrique et le Congo ?

Ray Lema : J'aime travailler en Afrique. C'est un désir très profond que j’ai en moi. Mon seul souci dans le fait de travailler en Afrique, c'est que le piano n'est pas très répandu. C'est un instrument coûteux, lourd. Et, il y a également le problème du métier d'accordeur de piano. Un pianiste ne sait pas accorder son piano.

Mais j'aimerais travailler plus en Afrique parce que toutes les harmonies de musique moderne ont été inventées sur le piano. C'est un instrument où toutes les notes sont à plat. On peut mettre les dix doigts sur le piano. On peut faire des accords de dix notes. C'est terrible. Il faut absolument que je réussisse à faire accepter le piano en Afrique.

De temps en temps, on me propose le clavier électronique. Mais ce n'est pas un piano. Comme une guitare synthétique. Ce ne sont pas du tout les mêmes sons.

Ray LEMA quintet - making off "HEADBUG"

 

ZOOM

Le portrait chinois de Ray Lema

Si vous étiez un(e) auteur(e) africain(e). Qui seriez-vous ?

Ray Lema : Cheick Anta Diop.

Si vous étiez un(e) réalisateur(trice) africain(e). Qui seriez-vous ?

Ray Lema : Pierre Yemeogo.

Si vous étiez un(e) musicien(ne) / chanteur/teuse africain(e). Qui seriez-vous ?

Ray Lema : Je serais le joueur de kora malien Ballaké Cissoko. Un artiste qui joue avec Jean-Philippe Rykiel.

Si vous étiez un plat africain. Lequel seriez-vous ?

Ray Lema : Les haricots congolais. Ils ont une manière de les cuisiner en RDC, c'est divin.

Si vous étiez une ville africaine. Laquelle seriez-vous ?

Ray Lema : Je serais la capitale du Ghana. Parce que la dernière fois que j'y suis allé, j’ai été épaté par Accra. Cette ville, son art de la civilité, sa propreté. ça m'a frappé.

Propos recueillis par Eva Dréano