Documentaires / ethiopie

Sur le tournage en Ethiopie du premier film de Amleset Muchie. Interview avec Julie Angelo

Interview avec Julie Angelo, assistante caméra, qui nous raconte son premier tournage en Ethiopie… et en avant-première.

Un coup de téléphone et Julie Angelo était dans l’avion. Fin avril, un de ses camarades de la Film Academy de New York l’appelle, il doit se rendre sur le tournage en Ethiopie, pour le film d’une ancienne camarade de classe, la célèbre Amleset Muchie, actrice et réalisatrice mais aussi Miss Ethiopie et candidate pour Miss Monde en 2006. Il cherche une première assistante caméra.

Ce sera donc le trio d’école qui tournera à Addis Abeba, pour une trentaine de jour et sur les ultimes scènes du prochain film d’Amleset Muchie, « Miniesh Hager ».

Julie Angelo nous raconte le tournage en compagnie d’une équipe de production éthiopienne.

Un appel pour un film en Ethiopie, ça surprend ?

Julie Angelo : Oui, mais l’idée de découvrir cette région d’Afrique et de passer trois semaines au sein d’une équipe de production éthiopienne m’a immédiatement enthousiasmée. Je connaissais un peu la musique éthiopienne, surtout le jazzman Mulatu Astatke, mais pas grand chose d’autre.

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De gauche à droite : la réalisatrice Amleset Muchie, Julie Angelo et Andrea Gavazzi, chef opérateur

"Quand je suis arrivée, c’était l’hiver, le soleil était assez bas et se reflétait sur le sol terreux et les tissus colorés des passants"


Quelles ont été tes premières impressions ?

Julie Angelo : Dés mon arrivée j’ai tout de suite été frappée par la richesse des couleurs et par la douceur de la lumière qui éclairait le visage de ses habitants.

La lumière est la matière première de mon travail, si on peut dire. Il faut arriver à capter son reflet par la caméra avec le plus grand toucher et la plus grande précision.

Quand je suis arrivée, c’était l’hiver, le soleil était assez bas et se reflétait sur le sol terreux, les vêtements et les tissus colorés portés par les passants ou en devanture des petites échoppes. Ca créait une tonalité chaude et accueillante qui m’a enchantée.

Parles-nous un peu du film…

Julie Angelo : Le film raconte le combat d’une jeune fille (jouée par la réalisatrice, Amleset Muchie) élevée dans la misère des quartiers pauvres de la capitale et qui a pour ambition de courir aux couleurs de son pays et de remporter une victoire olympique.

L’histoire est un peu un hommage au parcours du coureur éthiopien Haile Gebreselassie, qui a fait rêver toute l’Ethiopie par ses exploits aux Jeux olympiques.

On a beaucoup tourné dans le stade mais aussi dans les ruelles sinueuses au marché d’Addis Abeba, appelé « Merkato » par les Italiens lors de leur occupation dans les années 1930 et célèbre pour être le plus grand marché d’Afrique.

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La réalisatrice et actrice Amleset Muchie, dans son rôle et en piste sur le stade d'Addis Abeba

 

"dans la « section métal » du Merkato, sous une chaleur accablante, et avec l’odeur d’essence des voitures à travers la foule et les échoppes."


Un tournage dans un marché, ça n’attire pas les curieux ?

Julie Angelo : Si ! Et même des foules de centaines de gens ! Chaque jour apportait de nouveaux défis, nous travaillions constamment encerclés par les curieux dans des conditions compliquées par le peu d’espace pour installer le matériel.

En même temps, il y avait une intensité de vie surréaliste. On a tourné dans la « section métal » du Merkato, là où les travailleurs forgent et martèlent le métal sous une chaleur accablante, et avec l’odeur d’essence des voitures et des camions.

Etant la première assistante caméra, j’avais tout l’équipement sous ma responsabilité et je devais être très prudente avec le rangement et l’utilisation de chaque accessoire. Tout venait d’Italie (le chef opérateur, Andrea Gavazzi, est italien) et ne pouvait pas être remplacé aisément.

Avec la foule et les attroupements que le tournage suscitait, il fallait assurer la sécurité du matériel. La production éthiopienne a dû avoir recours aux « gansters » locaux qui se divisent et contrôlent chaque parcelle de territoire, connaissent tout et tout le monde. C’était un peu bizarre d’avoir ces mecs bien sapés et tout proprets au milieu de la « section métal »…


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Tournage d'une scène dans le Merkato d'Addis Abeba

 

"On a aussi tourné devant une prison, ce qui était particulièrement difficile."


Qu’est-ce qui changeait le plus pour toi sur ce tournage ?

Julie Angelo : Mis à part un environnement totalement nouveau, je dirais que c’était l’étroitesse des décors. Les voitures ne pouvaient pas se rendre dans les petites ruelles, donc on devait porter le matériel, très lourd, et se frayer un chemin à travers la foule jusqu’à la scène.

On a aussi tourné devant une prison, ce qui était particulièrement difficile. C’était d’abord très impressionnant de passer devant les gardes, de voir des prisonniers… et d’être propulsé dans un monde exclusivement masculin.

Ensuite, d’un point de vue plus pratique, il pleuvait des cordes ce jour-là, on tournait dehors devant le parloir de la prison qui n’est couvert que d’un tout petit auvent. Il y avait de la boue partout, c’était une vraie patinoire. Et par-dessus le marché, un tout à l’égout pour les sanitaires était en construction, donc il y avait un énorme trou juste à côté de moi et de la caméra !

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Tournage devant la prison d'Addis Abeba


Tu as appris l’Amharique ?

Julie Angelo : Malheureusement pas ! Le tournage était bilingue anglais-amharique. Les membres de l’équipe éthiopienne ont tout fait pour nous faire découvrir leur culture, les repas, le café, la musique et les soirées de poèmes improvisés et chantés, bref, tout ce qui rassemble !

Tous étaient très curieux du cinéma occidental, mais aussi de l’organisation des tournages sur-planifiés, et bien sûr, du matériel qu’on avait car la caméra italienne qu’on utilisait n’avait encore jamais été utilisée en Ethiopie.

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L'équipe du tournage


Et en dehors du tournage ?

Julie Angelo : C’était tellement intense qu’on n’avait malheureusement très peu de temps libre pour explorer et nous balader dans la capitale et ses alentours.

Mais on a eu la chance d’écouter et rencontrer Mulatu Astatke, le célèbre musicien et père de l'Ethio-jazz. C’était vraiment une chance incroyable, car le jazz est encore peu enseigné ou joué en Ethiopie. Mulate Astatke ne se produit que très peu dans son pays natal et joue presque uniquement hors de ses frontières.

J’adore son mélange de musique traditionnelle éthiopienne, de jazz et de sonorités latino-américaines qui hypnotise. Tu savais qu’il était le premier musicien éthiopien à avoir étudié à l’étranger ?

En tout cas, j’espère que ce voyage ne sera que le premier de bien d’autres explorations et rencontres.

"Motherland" du père de l'Ethio-Jazz, Mulatu Astatke

*Avis aux impatients : Le film est actuellement en phase de montage et devrait sortir dans six mois... environ. Et pour aller plus loin, un article sur les conditions du cinéma éthiopien à lire ici (Nouvel Obs) et un article sur l'entrée de l'Ethiopie au festival de Cannes en 2015, à lire ici (RFI).

ZOOM

Amleset Muchie, réalisatrice et actrice

Née à Addis Abeba, Amleset Muchie a d'abord poursuivi des études de journalisme avant de suivre la voie de la cinématographie et de compléter un cycle d'étude à la New York Film Academy.

Miss Ethiopie 2006 et épouse du très célébre chanteur Teddy Afro, Amleset compte parmi ses réalisations un documentaire sur l'écologie en Ethiopie "Green Ethiopia" et un court-métrage sur l'adoption. Plus d'infos sur son site: http://amlesetmuchie.com.

"Adoption" court métrage d'Amleset Muchie

A. A.