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Mariama Bâ : une femme, une militante, une écrivaine

Qui était donc Mariama Bâ, cette femme auteur d'un des plus grands classiques de la littérature africaine ?

En 1979, soit dix-sept ans après les premiers textes « féministes » d’Ousmane Sembene, Mariama Bâ reprend le flambeau et dénonce sans trêve les injustices faites aux femmes dans Une si longue lettre.

Dès sa parution, ce roman connaît un grand succès et Mariama Bâ obtient le premier prix littéraire jamais attribué à une femme (Premier Prix Noma 1980).

Traduit aujourd’hui dans vingt langues, édité de nombreuses fois en version française, inscrit dans les programmes scolaires et universitaires des pays d’Afrique, Une si longue lettre est devenu « un classique » de la littérature africaine d’expression française.

Qu’y a-t-il dans ce roman qui traverse le temps et les espaces géographiques ? Et qui est donc cette femme qui a donné ses lettres de noblesse à la littérature féminine africaine ?

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Mariam Bâ, née à Dakar en 1929 a la chance d’avoir un père qui la pousse à faire des études. Brillante élève, elle intègre en 1943 l’Ecole Normale de jeunes Filles créée en 1938.

Son diplôme en poche, elle décide d’enseigner et de se marier mais après quatre années de bonheur conjugal, elle sent que ce lien l’étouffe et l'éloigne de sa vraie personnalité. Elle se remariera néanmoins encore deux fois et divorcera deux fois, acceptant finalement de ne pouvoir être heureuse en ménage.

Les échecs de ses expériences conjugales la préoccupent et l’amènent à se poser des questions telles que : comment concilier amour et épanouissement personnel ? Comment apprendre à être une femme libre ?

Elle se rend compte que la seule issue pour les femmes est de lutter contre les inégalités qui leur sont imposées. Dans un premier temps, ses combats passeront par l’action militante au sein de nombreuses associations de femmes. Pour elle, leur salut réside dans le militantisme au-delà des clivages et des rivalités politiques.

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Elle dénoncera la législation sénégalaise sur la brièveté du congé-maternité incriminant partout la violence, l'innocence bafouée, la marginalisation des femmes des instances de décisions et bien sûr la polygamie. « On ne partage pas de gaieté de coeur un mari », ne cessera-t-elle de répéter.

Dans Une si longue lettre, Mariama Bâ rompt avec la littérature de témoignage qui réduirait son roman à sa biographie. Ce n’est pas sa vie qu'elle raconte : « Je n’ai ni la grandeur d’âme, ni les qualités de Ramatoulaye et ma vie est beaucoup plus dense, beaucoup moins dramatique en péripéties que celle de mon héroïne. »

Ce qui fait la qualité de ce roman, c’est l’expression exacte et douloureuse de vies de femmes. C’est en cela, dans l’évocation de vécus placés au coeur des contradictions et des tensions d'une société en pleine transition, que ce roman atteint sa dimension littéraire.

Ce que révèle la femme et la militante Mariama Bâ, c’est une conviction et un attachement sans faille dans une valeur cardinale : la solidarité. Sa vie en fut la preuve et c’est la même conviction qui la pousse à écrire un roman sous forme de lettres entre deux amies qui se soutiennent et prennent conscience de la nécessité d’union entre les femmes de toutes classes et générations.

Au cliché de femmes victimes, elle oppose la création de personnages féminins forts et complexes. Ramatoulaye décide de rester dans son foyer malgré les douleurs que lui impose son mari polygame. Elle parvient à apprivoiser son mal et à en contourner les remous, alors que son amie de toujours Aïssatou, à qui elle écrit, fait le choix inverse et quitte son mari lorsqu’il décide de prendre une deuxième épouse.

En amorçant une innovation dans l'approfondissement d'un vison féminine plus riche de virtualité Une si longue lettre envisage une nouvelle approche du roman sur l'image de la femme noire.

Il deviendra le socle sur lequel les futures écrivaines africaines puiseront la force et le courage de prendre, à leur tour, la plume.

ZOOM

Mariama Bâ a ouvert la voie aux dénonciations de la polygamie

Après Paroles aux négresses d’Awa Thiam (1978) et Une si longue lettre, les écrivaines aborderont sans relâche le thème de la polygamie.

Plus récemment Rebelles de Fatou Keïta (1998) et Deuxième femme (2013) de Caroline Pochon en révèlent de nouveaux aspects.

Au cinéma, les fictions : Wazzou le polygame (1970) d’Oumarou Ganda, Xala (1974) d’Ousmane Sembène, Seye Seyeti de Ben Diogaye Bèye (1980) ou Bal poussières (1988) d’Henry Duparc mettent en scène la polygamie avec gravité ou sarcasme.

Des documentaires sont également réalisés par des hommes : Si-Gueriki (2001) par Idrissou Mora Kpai ou 5X5 de Moussa Touré (2004).

Quant aux femmes réalisatrices, Caroline Pochon propose en 2004 un film semi-documentaire sur son expérience de la polygamie. Alice Diop, quant à elle réalise un documentaire : Les Sénégalaises et la Sénégauloise en 2007.

Valérie Berty