Poèmes / cameroun

RAOUL DJIMELI, poète et chercheur en littératures africaines

Auteurs de plusieurs articles sur la littérature camerounaise, Raoul Djimeli a publié le recueil de poésie En attendant les jours qui viennent.

Comment le goût pour la poésie t'est-il venu ?

Raoul Djimeli : J’ai passé mon enfance dans la beauté. Les rues rouges couvertes de grands arbres. Les vastes étendues de prés. Les marigots. L’amitié. L’amour. La chaleur du foyer éclairé par la lampe à pétrole. Les chants de ma mère. La danse. La saison des cueillettes. L’école villageoise…Je n’ai connu que la beauté partout dans mon enfance.

Et l’une de mes grands-mères, Mâ Njola, qui repose aux pays d’où vient la beauté, était poétesse, prêtresse. J’ai marché à son ombre, l’entendant prophétiser, parler comme l’oracle aux esprits. Je l’ai écoutée entonner les vêpres bamiléké, je l’ai entendue chanter aux rites d’initiation, aux grandes fêtes traditionnelles. Je l’écoute encore.

Elle m’a quitté en 2003, en même temps que mon enfance, la beauté, mon village. Je ne l’ai pas revue avant sa mort quelques années après, et on n’a pas pu se dire au revoir. Je crois quand-même l’avoir aperçue une fois à Yaoundé où je vivais mon dépaysement… Mais je ne me souviens même plus. Je crois que je suis né dans la poésie et que la beauté de mon enfance m’a vraiment quitté lorsque j’ai perdu mon village en même temps que Mâ Njola.

Depuis quelque chose m’habite : le souvenir de la beauté, la grâce de cette poétesse, le vide qu’elle a creusé en moi. Chacun de mes poèmes est une tentative de combler un vide en moi, d’invoquer cette absence qui m’a fragilisé et fortifié, de parler à Mâ Njola dont j’ai découvert la tombe 15 ans après mon exil.

Peux-tu nous parler de ton recueil En attendant les jours qui viennent ?

Raoul Djimeli :Ah, ce livre rassemble mes premiers textes poétiques. Les doutes et les peurs de la jeunesse. Mais c’est le chant de la monotonie urbaine, de l’absence.

Beaucoup de poèmes de ce recueil paru en 2014 ont été écrits lorsque j’étais étudiant à l’Université. C’est-à-dire qu’au dépaysement et à la mémoire tronquée, s’était ajoutée quelque chose de pas trop tendre, la vie estudiantine. L’enfant est au centre d’En attendant les jours qui viennent, mais le doute aussi. L’espoir.

Raoul-Djimeli-En-attendant-les-jours-qui-viennent

Tu es chercheur en littératures africaines. À quelles thématiques en particulier t'es-tu déjà dédié ?

Raoul Djimeli : J’ai commencé par travailler un peu sur l’institution littéraire, puis j’ai fait mes travaux de Master sur la littérature politique de l’Afrique noire contemporaine. Maintenant je suis revenu à moi-même. Je fais actuellement une thèse de Doctorat sur les violences et la mémoire historique chez Patrice Nganang et chez Edouard Glissant.

Peux-tu nous parler du CLIJEC ?

Raoul Djimeli : Le CLIJEC est le départ de mes recherches sur l’institution littéraire. C’est une association que nous avons fondé autour du poète africain Jean-Claude Awono, en 2011. L’objectif était de réunir les jeunes poètes et de bâtir un pont avec leurs aînés.

Vous voyez, dans les pays comme le Nigéria où j’ai été, je me suis rendu compte qu’il y a au sommet, les Achebe, Soyinka, Ben Okri, Emecheta. Qu’il y a au milieu, au sommet du milieu, les Chimamanda. Sefi Atta. Et qu’il y a en bas, les Dami Adawi, Sada Malumfashi, que les Chimamanda reviennent tenir par la main des jeunes dans les workshops et les festivals… C’est une littérature qui est faite pour durer. Qui fait sa transmission et prépare la transition.

Au Cameroun, on a au sommet, notre Njoya. Puis Mongo Beti. Et ensuite on a l’exil. Terre déserte. Des gens qui tentent et abandonnent. L’urgence était de faire quelque chose qui puisse favoriser la transition et la transmission. Voilà le CLIJEC que nous avons fondé. L’urgence demeure.

Tu es également président de l'African Festival of Emerging Writers. Comment ce festival est-il né ?

Raoul Djimeli :Le festival africain des écrivains émergents et né au sein de l’association CLIJEC que je dirige depuis la fin de l’année 2017. Le festival est né en 2016. Pour favoriser la transmission et la transition.

 

Comment décrirais-tu la situation du livre au Cameroun ?

Raoul Djimeli : Il n’y a toujours pas un marché du livre au Cameroun. Les Camerounais lisent en se débrouillant. Et c’est en se débrouillant que les Camerounais font tout ce qu’ils font. Nous marchons dans la douleur depuis tant d’années, et le livre marche avec nous. Difficile de savoir si on avance ou si on recule.

Autrefois il y avait des librairies au Cameroun. Les gens avaient les bibliothèques familiales. On enseignait même la véritable littérature camerounaise dans les écoles – aujourd’hui les programmes sont devenus si politiques qu’on prolonge les affiches de campagnes présidentielles dans les manuels.

On va de scandale en scandale. Le livre est à l’image du pays. Un pays qui marche avance avec ses écrivains. Or, les écrivains du Cameroun vivent entre l’exil et la prison. Il y a aussi les écrivains politiquement corrects. Ceux qui écrivent pour tirer leur épingle du jeu, sortir leur famille de la faim, s’enfoncer les doigts dans la charogne et les sucer par la suite.

Quels écrivains camerounais ou africains t'ont-ils inspiré ?

Raoul Djimeli : Je n’ai pas commencé la littérature en lisant les écrivains. Je suis né, comme je l’ai dit, dans les senteurs poétiques de Baleveng. Les premières lectures qui m’ont habité m’étaient enseignées à l’école, en même temps que le français. Nous avons lu les extraits des livres d’Ahmadou Kourouma, Mongo Beti, Camara Laye, dans nos manuels du secondaire.

Mais avant, à l’école primaire, il y a eu des textes des manuels même. Ces phrases simples, illustrées, que nous avons lues et chantées dans notre enfance villageoise en apprenant la lecture. Elles évoquent en moi quelque chose de tellement puissant, ah ! Le temps passe ! C’est elles que j’écris aujourd’hui, dans l’espoir qu’elles réveillent la même chose chez un humain, un jour. Je ne connais pas trop le culte des écrivains fétiches. Il est des livres extraordinaires qu’on rencontre et qui nous transforment. Je les découvre chaque jour.

Écrire te vient-il facilement ou est-ce pour toi un travail de longue haleine ?

Raoul Djimeli : Même si on écrit facilement, le travail d’écriture est toujours de longue haleine. L’écriture n’est que le commencement du travail de l’écrivain. Parfois les mots viennent. Parfois les mots ne viennent pas. Mais, il faut avoir beaucoup d’énergie pour devenir écrivain.

Y a-t-il au Cameroun un public pour la poésie ?

Raoul Djimeli : Je pense qu’il y a un public pour la poésie partout dans le monde. Comment peut-on ne pas aimer la vie ! Le Cameroun a quelques festivals de poésie, d’autres de slam. De plus en plus en plus les gens sont sensibles à la beauté des mots. Ils ont compris que l’alcool ne les apaise pas de la tyrannie. Il y a un public pour la poésie partout.

Tu es membre du jury d'un concours de nouvelles tchadiennes cette année. À quels critères seras-tu sensible en particulier ?

Raoul Djimeli : A la sensibilité poétique qu’a un auteur de provoquer un choc chez le lecteur. Peu de choses nous ébranlent encore. Nous vivons dans la guerre. Les extrêmes. Le sang. Le sexe. Internet nous met plein les yeux. Il faut beaucoup de magie pour qu’on soit véritablement touché. C’est cela que je cherche pour moi-même et pour les lecteurs. Cette magie, seul le grand artiste l’a.

Quel est ton rapport à d'autres formes d'écriture ? Par exemple l'écriture journalistique ? Et les autres genres littéraires ?

Raoul Djimeli : Je suis actuellement Directeur de publication du Clijec Magazine, un magazine littéraire d’analyse et de promotion de la littérature afro. J’écris dans le magazine culturel Mosaïques et collabore avec d’autres médias culturels. Je suis sensible aux Lettres manuscrites, que je tente de promouvoir autour de moi. J’adore les lettres.

Ton travail de traducteur. En quoi la traduction t'intéresse-t-elle ?

Raoul Djimeli : J’ai fait des études qui me prédestinaient à la traduction de l’anglais au français. Après j’ai choisi la littérature.

ZOOM

Ses personnages préférés

Raoul Djimeli : Comme j’habite dans la même maison avec 500 livres et des milliers de personnages, il arrive que je perde la relation avec certains magnifiques personnages une fois le livre fermé. Mais il y en a qui peuvent m’habiter pour une raison ou pour une autre, sans toujours être mes préférés. Juste ceux qui m’habitent.

Takou, de Temps de chien, le long souffle de Patrice Nganang. Esta que j’ai rencontrée en lisant Les Maquisards de Hemley Boum par exemple. Ikemefouna de Things Fall Apart etc.

Propos recueillis par Matthias Turcaud