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"IL EST TEMPS" pour MOONAYA, rappeuse sénégalaise

Moonaya nourrit sa chanson de messages forts sur l'Afrique et nous rappelle qu'"il est temps" que les Africains écrivent eux-mêmes leur histoire.

"Lumumba, Mandela, SankaraIls ont fait ce qu'ils ont à faire. Et aujourd'hui nous on fait quoi ?"

La rappeuse Moonaya rejette l'apitoiement et l'assistanat, invalide avec hargne et tempérament tous les clichés têtus corrélatifs  à ce continent riche de promesses mais dont le navire demande à être redressé avec urgence, et, quand Moonaya dit "Il est temps", elle parle du présent.

La chanteuse est bien consciente des préjugés et nous prévient dès les premières secondes de son titre : "Je viendrai pas vous faire un texte sur l'Afrique / Pour vous dire qu'on nous a pillé, qu'on n'a pas de fric".

Vindicative et revendicative, Moonaya laisse entendre sa voix sans filtre et met, comme on dit, les points sur les I.


"On en a assez de rêvasser", "On a les dirigeants qui font tout pour nous maintenir dans l'ignorance", "Même si l'impérialisme nous tue / Avec l'esclavage nous avons survécu", Moonaya n'hésite pas à dire haut et fort des vérités pas toujours si dicibles.

Son énergie entrainante, sa manière de rebondir sur les mots et de faire des ricochets avec eux, son rythme soutenu achèvent de nous conquérir d'autant plus qu'ils s'allient à sa désarmante sincérité et sa détermination d'acier.

L'articulation est alerte et investie, les rimes s'enchaînent et se multiplient, comme ici : "Ne voyez pas dans mon discours de la condescendance / C'est de la dissidence, car je m'inquiète pour nos descendances / L'ascendance de l'ignorance nous donne la cadence."

Pour ne rien gâcher à la réussite du morceau, notons la photo léchée, et la réalisation soignée et pensée de Gombia Khai et Gomes Montrond Saolo Francisco.

Dans le clip au montage vif et fluide, on voit Moonaya évoluer tour à tour dans une école, une déchetterie à ciel ouvert dans un paysage magnifique et sacrifié, un bâtiment désaffecté recouvert de tags colorés, une plage paradisiaque, un grand cinéma rempli de fauteuils vides ou encore d'autres paysages à la beauté encore immaculée ou encore une salle de réunion dans laquelle se tient manifestement un rendez-vous diplomatique avec plusieurs pays d'Afrique.

Ce ne sont en bref que des lieux symboliques pourvoyant au texte déjà poignant, et prononcé par une vraie combattante du rap dit "engagé", qui plus est à la gestuelle affirmée, une ampleur encore plus métaphorique.

ZOOM

La chanson "Qui" dans la même veine

La chanson "Qui" s'apparente à un véritable brûlot contre la dilution de l'Afrique rongée et gangrénée par la mondialisation grimpante, en revendiquant farouchement une identité "africaine" non dévoyée.

Là aussi les paroles s'avèrent pertinentes et bien senties, articulées avec vélocité par une boxeuse des mots qui semble avoir bien intériorisé la phrase de Sartre, comme quoi les mots seraient des "pistolets chargés".

On peut citer, comme extraits marquants, notamment, dans le sillage d'un Malcolm X dont on entend la voix à l'ouverture : "Qui vous apprend à détester vos cheveux crépus ? (...) Qui vous a appris à mépriser tout ce qui vient de vous ? Qui vous a appris à ne pas croire en vous ? A croire à tort que la solution ne viendra pas de vous ?"

Moonaya est scandalisée par le néo-colonialisme, les génocides et les crimes innommables restés quasi non commentés...

Là aussi, dans "Qui" comme dans "Il est temps", la mise en scène convainc et frappe, avec, par exemple, des silhouettes africaines anonymes et muettes, habillées à l'européenne et qui dégagent beaucoup de tristesse.

Dans les deux chansons, Moonaya fustige des réflexes de pensées et des comportements très néfastes des pays du Nord à l'égard de l'Afrique, mais exhorte surtout chaudement les peuples africains à une imminente réaction comme à prôner sans honte et sans plus attendre leur irradiante "africanité".

Moonaya dénonce le néo-colonialisme, les génocides quasi non commentés."

Matthias Turcaud