Bandes dessinées / maroc

ZAINAB FASIKI : la BD au service des femmes

Pensée pour le réalisateur, qui nous lègue notamment la belle série "L'As du lycée"

Avec ses dessins et ses bulles, la bédéiste Zainab Fasiki s'engage activement contre les injustices vis-à-vis des femmes dans son pays.

"Depuis l'enfance, à chaque fois que je pose des questions à ma famille ou à l'école, tout le monde me donne cette réponse : "hshouma (c'est honteux), n'en parle pas !" C'est pour cela que j'ai choisi ce simple titre pour justement en parler." déclare l'artiste à propos du nom qu'elle a donnée à la plateforme éducative, gratuite et participative qu'elle a créée en 2018.

En plus de sa formation en tant qu'ingénieure en mécanique, Zainab Fasiki a, depuis longtemps, le goût du dessin, et compte mettre ses images - colorées, ou en noir et blanc - au service des femmes marocaines, contre leur musellement et leur manque de libertés toujours flagrant, contre, aussi, l'harcèlement sexuel, le viol - individuel ou collectif -, l'excision, et les autres formes de violence accrues à leur égard - qu'elles soient physiques, psychologiques, visibles au grand jour ou maquillées.

Fasiki-Zainab

La BD "Feyrouz versus the world", publiée par la maison d'édition libanaise Tosh Fesh, et présentée en octobre 2018 au Festival international de la BD d'Alger (FIBDA) met en images le manque de perspectives d'une jeune fille vivant dans le pays fictif du MENA - région imaginaire allant de l'Iran au Maroc. Sa soif de voyages et d'envol se heurte à sa famille très conservatrice et réactionnaire, qui ne cesse de la culpabiliser et de la brider.

Zainab Fasiki, dans le sillage d'une Simone de Beauvoir, rend ses lectrices attentives au fait que la libération d'une femme passe avant tout par son indépendance professionnelle et financière, l'accès à la connaissance et au savoir, le choix d'un métier exigeant.

Ses coups de crayon, ainsi que son compte Instagram - suivi par plus de 26 000 personnes dorénavant - servent à militer contre une société phallocrate qui ne dit pas son nom, très hypocrite, imposant aux femmes des diktats de beauté auxquels elles doivent se conformer en se taisant, et leur indiquant une voie toute tracée de laquelle elles ne doivent pas dévier d'un iota.

De façon satirique et provocante, les héroïnes de Zainab Fasiki se trouvent souvent nues, triomphantes, défiant sans peur une société totalement misogyne.

BD-Zainab-Fasiki

Très dynamique et investie, la jeune artiste de 24 ans anime également des workshops de bande-dessinée ou d'activisme au sein d'universités et d'associations, au Maroc comme à l'étranger ; Zainab Fasiki pousse également des femmes à l'émancipation comme à la création via des résidences regroupées sous le nom de "Women Power".

Comme elle le déclare éloquemment : "Dessiner pour moi, c'est me libérer de la société qui m'a toujours limitée et stoppée dans mes choix de vie."

ZOOM

La plateforme "Hshouma"

"La censure artistique existe partout au Maroc", déclare Zainab Fasiki qui aborde donc, sur sa plateforme "Hshouma", et de manière frontale, des thèmes complètement prohibés au Maroc.

Les dessins en noir et blanc, accompagnés de brefs textes en darija (dialecte marocain) et en anglais, permettent une prise de conscience, et visent également à éduquer sur des sujets dont on ne parle pas au Maroc, tels l'éducation sexuelle, le corps, ou la question du genre.

Ils invitent les visiteurs à prendre parti contre la discrimination et la violence subies par les femmes.

Matthias Turcaud