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LA MISÉRICORDE DE LA JUNGLE, fable pacifiste du Rwanda

Dire l'indicible

Récompensé par l'Etalon d'or du Fespaco lors d'un palmarès très politique, " La Miséricorde de la Jungle " permet de légitimer et consacrer un jeune réalisateur rwandais, dont il ne s'agit là que du deuxième long-métrage de fiction, Joël Karekezi.

Dès son premier long-métrage, "Imbabazi : Le Pardon", en 2011, Karekezi avait mis en scène la douloureuse histoire de son pays, puisque le film abordait la question de la réconciliation après le génocide subi par les Tutsis. 

On retrouve cette vocation dans sa deuxième réalisation, qui se passe en 1998, et voit le sergent Xavier et le soldat Faustin affronter une jungle hostile et pleine de surprises, celle du Kivu, en l'occurrence. 

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Le jeune cinéaste rwandais de 33 ans, Joël Karekezi, sur le tournage de " La miséricorde de la jungle ".

Le scénariste et réalisateur rwandais a choisi de faire de cette jungle grouillante, fascinante et mortelle à la fois, ambivalente par nature, un personnage à part entière et bien plus qu'un simple décor, puisqu'elle prête au rapprochement entre deux hommes dont l'origine et l'appartenance sociale diffèrent pourtant beaucoup. 

Le film, ici, montre comment, au coeur de la tragédie, ils se retrouvent à partager, à la fois des repas et des histoires intimes ; comment ils allient leur force et leurs savoir-faire en vue de survivre. La Miséricorde de la Jungle l'illustre avec simplicité et émotion. On ne trouvera pas de grands effets de musique ou de ralenti, mais un lien qui se noue à petites touches et sans beaucoup de mots. 

Pour donner corps à ces deux personnages au bord du gouffre, qui s'arriment, malgré tout, encore et toujours, à la vie, Joël Karekezi a de plus fait appel à deux interprètes de choix, à savoir Marc Zinga et Stéphane Bak.

 

Le premier a pu déjà se faire remarquer via plusieurs rôles importants, dans "Les Rayures du Zèbre" de Benoît Mariage, "Qu'Allah bénisse la France" d'Abd Al Malik ou "Dheepan" de Jacques Audiard ; au théâtre, celui du rôle-titre de "La Tragédie du Roi Christophe" d'Aimé Césaire, mise en scène par Christian Schiaretti. Sous la direction de Joël Karekezi, il campe, de manière frappante, un sergent usé, pleurant la mort de son épouse et dégoûté des horreurs dont les hommes sont capables.

Le second, plus habitué à la comédie et vu entre autres dans "Les Profs" de Pierre-François Martin Laval, se retrouve ici dans un contre-emploi très physique où il convainc par un jeu sobre, crédible, en retenue. Tous deux se révèlent très habités et investis, au service d'une histoire forte, simple et percutante, à la fois locale et universelle. 

Épaulé par son directeur de la photographie Joaquim Philippe, le réalisateur rwandais sait aussi rendre justice à cette jungle hypnotique - censée être celle du Kivu, mais l'équipe a en fait tourné en Ouganda - à travers des images à couper le souffle. Karekezi sait, de plus, donner à voir la folie mentale qui affecte le sergent Xavier, à travers un montage saccadé, heurté, glaçant et poignant. Malgré son jeune âge, il prend déjà des décisions fortes, originales, qui servent bellement son propos. 

Ici, cette jungle troublante aux visages multiples invite à se poser des questions essentielles, et nous renvoie au coeur des ténèbres, pour reprendre le fameux titre du livre de Joseph Conrad ayant inspiré le "Apocalypse Now" de Francis Ford Coppola. Dans ce voyage concret et métaphysique, les personnages se retrouvent aux prises avec eux-mêmes ; la jungle acquérant, dans ce contexte, une dimension symbolique toute particulière. 

Sur plusieurs plans, cet Étalon emporte l'adhésion : par l'investissement de ses acteurs, sa mise en scène inspirée et prenante, son histoire touchante et son propos riche, à la fois philosophique, poétique, politique, éthique et humain.

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Un Etalon très signifiant

Joël Karekezi a été très flatté de la récompense qui a salué son film, et y voit un signe positif pour le cinéma rwandais de demain.

"C'était un grand moment pour moi. Ca m'inspire beaucoup, et me motive pour continuer, et c'est un message positif pour toute ma génération Il y a beaucoup de jeunes artistes qui s'auto-produisent au Rwanda, et j'espère que ça va ouvrir des portes. Le gouvernement a décidé de se positionner pour soutenir le cinéma, j'espère que ça va se concrétiser. »

Matthias Turcaud