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SIXIÈME BIENNALE DE LUBUMBASHI, retour à la géographie...

... pour rappeler la place centrale du Congo à une échelle mondiale

Le rendez-vous, qui s'étend sur un mois - du 24 octobre au 24 novembre -, s'appelle "Généalogies futures, récits depuis l'équateur."

Pour cette sixième édition, le festival pluridisciplinaire de Lubumbashi nous interpelle, par son nouveau thème, au fait que l'équateur traverse la République Démocratique du Congo, et que le pays revendique le plus long segment du parallèle sur le continent. 

Le rappel de cette première réalité invite à changer les regards extérieurs - et aussi intérieurs - sur le Congo, et sonne déjà comme une promesse de changement, en l'occurrence, d'abord, des mentalités. Redessiner la carte veut ainsi dire redessiner aussi, par ricochet, la représentation du monde et la façon dont on le conçoit. 

Lubumbashi

Lubumbashi est la deuxième plus grande ville de la République démocratique du Congo.
© Julien De Bock

"Généalogies futures", la première partie du titre, renvoie, elle, à la fois à une relecture du passé, mais surtout une préparation de l'avenir, qui commence dès maintenant.  

Pour le passé, il s'agit de bien faire comprendre que l'Occident n'a pas le monopole du commentaire sur son passé colonial, en poussant vivement les Congolais à se réapproprier leur histoire, et en encourageant très clairement le rapatriement des archives nationales. 

Quant au présent et à l'avenir, les dirigeants de la Biennale de Lubumbashi insistent, dans leur texte de présentation, sur le fait qu'on se situe actuellement à une période charnière avec, notamment, la restitution fortement sollicitée des oeuvres d'art africaines massivement pillées, et l'appel aux musées à décoloniser leur image.

 

Interview de la danseuse de hip-hop Sarah Mukadi Kadima, qui réalise la performance "La femme sur le marché pirate à Lubumbashi"

De leur côté, l'urgence du réchauffement climatique et les problèmes environnementaux appellent à créer de nouvelles solidarités, et des types d'échanges peut-être inattendus, entérinant la dissolution du fameux schéma périmé opposant le "Nord" et le "Sud". Cette sixième édition de la Biennale de Lubumbashi s'inscrit ainsi dans le sillage du philosophe camerounais Achille Mbembe et de son concept de "décloisonnement", développé dans "Écrire l'Afrique-Monde" en 2017. 

In fine, il s'agit de tendre vers une lecture du monde renouvelée : un objectif ambitieux, mais dont cette Biennale vise à s'approcher, via un programme très dense, gourmand et éclectique, qui compte installations, peintures, danse, performances, montages graphiques, films et conférences... 

Parmi les nombreux artistes convoqués, l'artiste et pianiste David Shongo fait par exemple réfléchir à la vision coloniale et ses conséquences. Shongo réinterprète des photos ethnographiques prises dans le Congo des années 30 par l'ethnographe allemand Hans Himmelheber. Par différents procédés de photomontage comme l'apposition de code-barres sur des portraits d'esclaves, pour nous remémorer le procédé de réification et marchandisation systématique des êtres alors à l'oeuvre. 

David-Shongo-Blackout-Poetry

© David Shongo, "Black out poetry"

On peut de même relever Ghislain Ditshekedi Mabiala, qui travaille sur les façons dont l'os d'Ishango - découvert en RDC au bord du lac Édouard, pouvant dater de 20 000 ans et attestant d'un savoir mathématique précoce - pourrait concrètement réinvestir le Congo. 

Ghislain-Ditshekedi-Mabiala-Espoir-Rêve

© Ghislain Ditshekedi Mabiala - Espoir (Rêve) - mixed media on canvas

Le photographe et réalisateur Nelson Makengo, quant à lui, entend changer la manière dont on perçoit la RDC, dont il entend sublimer et faire connaître l'histoire fragmentée en la mélangeant à des personnages de super-héros ou de films d'animation, sur un ton badin qui cache une vraie profondeur.

 

Son court-métrage de douze minutes, "Théâtre urbain", choisi pour la programmation cinématographique, mêle des figurines de Barbie et de Captain America avec l'évocation de Kimpa Vita, une valeureuse résistante à la colonisation au XVIIème siècle, qui aurait brûlé entièrement mais sa ceinture s'en serait réchappée. Dans cette espèce de fiction documentaire inclassable, la précarité et le chaos social mais aussi l'énergie incessante des Congolais s'entrechoquent avec ces figures de l'impérialisme et du capitalisme américains, qui nous envahissent sans trêve. 

Le musicien au succès grandissant, très intéressé par les arts visuels, Baloji, dont nous avions récemment parlé sur nos pages, s'illustre également par un court-métrage, une fantaisie libre et dénonciatrice appelée "Zombies", qui met à jour avec force et  malice les différents maux affligeant la société (congolaise) actuelle voire future ; de la mal-gouvernance à l'addiction maladive aux téléphones portables, allant jusqu'à se muer en greffes ou excroissances de nos mains.

Parmi les dysfonctionnements dénoncés, encore : les violences policières, l'appel à la dépigmentation sur les publicités ou la répartition des richesses très inégales, dénoncées sous des formes diverses et variées. 

Des artistes venus d'autres horizons - Egypte, Cameroun, Indonésie, Belgique, Maroc, Afrique du  Sud ou Zimbabwe - complètent enfin l'horizon, et la réflexion. 

Gageons que cette manifestation conséquente et ambitieuse, qui investira pendant longtemps plusieurs lieux - du musée familial Yabili à l'Institut des beaux-arts en passant par le Musée national, l'Université ou la Galerie d'art contemporain, entre autres - saura induire vers un raisonnement constructif sur de nombreux sujets centraux, et asseoir aussi des vocations artistiques nombreuses dans la bouillonnante ville de Lubumbashi. 

ZOOM

Les têtes pensantes de la Biennale

L'association PICHA a vu le jour en 2008 à Lubumbashi, dans le but de promouvoir la création au sens large, par le biais de trois outils majeurs : l'atelier PICHA - où ont lieu des résidences et des formations -, un Centre d'art et de recherche, et, donc, la Biennale. 

Cette structure à but non lucratif, dont le nom signifie "image" en swahili, comporte huit membres, artistes ou opérateurs culturels. 

L'artiste et photographe Sammy Baloji - dont l'œuvre porte avant tout sur les réminiscences de la colonisation belge - la préside.

PICHA compte, sinon, parmi ses membres l'écrivain-rappeur Alexandre Mulongo Finkelstein, le photographe Georges Senga, l'humanitaire Gabriele Selmi, la productrice et programmatrice Rosa Spaliviero, l'artiste passionné d'électrique et de mécanique Jean Katambayi Mukendi, ainsi qu'Aimé Kalenda, le vice-président - notamment impliqué dans l'implantation d'un atelier de sérigraphie textile à Lubumbashi et Makwacha ; et Rosemary Tshawila, administratrice-statisticienne passionnée elle aussi de culture.

La présente édition a été conçue en premier lieu par Sandrine Colard, directrice artistique dont dont nous avons restitué la pensée dans cet article. Commissaire indépendante et docteure en histoire de l'art africain moderne et contemporain, Sandrine Colard a axé ses recherches de doctorat autour de la photographie en République Démocratique du Congo. Conférencière internationale très demandée, elle contribue à de nombreuses revues spécialisées, elle a notamment participé au catalogue d'une exposition consacrée à Sammy Baloji. La présente Biennale reflète bien ses préoccupations majeures - la question des images postcoloniales et la réexploitation d'archives dans l'art. 

Matthias Turcaud