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COMME LA FRANCE EST BELLE, un texte corrosif de Gustave Akakpo

Contre la dénaturation des langues et la colonisation

Un spectacle provocateur pour dénoncer ce qu'entraîne la perdition d'une langue maternelle

Joué au jardin de la Vierge au lycée de Saint-Joseph au dernier festival d'Avignon dans la section "in", le spectacle Comme la France est belle !, écrit par le togolais Gustave Akakpo, arrive en ce mois de mars 2020 à Conakry, au lycée français Albert Camus, mais également au centre culturel franco-guinéen Sory Kandia Kouyaté. 

Incarné par l'auteur lui-même ainsi que l'acteur français Frédéric Blin, Comme la France est belle ! développe une réflexion autour de l'importance déterminante des langues maternelles, ici la langue éwè - mina, qui se trouve en concurrence directe avec celle de Molière. 


Akakpo souligne le fait qu'après avoir voulu exporter leur langue dans un très grand nombre de pays - autrement dit de leurs anciennes colonies, ils se laissent maintenant coloniser par la langue anglaise, déclarant même, en une formule marquante et provocatrice, qu'on trouve maintenant plus de mots anglais en France que de mots allemands sous l'occupation !

Il attire également notre attention sur le fait qu'assez étrangement les Français sont les seuls qui, alors qu'ils parlent cette langue, refusent la désignation de "francophones" - seraient-ils donc francophobes ?

Akakpo, parlant à la fin du spectacle de son propre enfant vivant actuellement dans l'hexagone, se demande même s'il ne devrait pas l'envoyer au Togo pour qu'il parle mieux français ! Akakpo souligne également que le dernier film français à avoir remporté un Oscar s'appelle "The Artist" - et ne contient pas de dialogues -, en signe de soumission à l'anglais, tout-puissant aujourd'hui.

Ambitieux, le texte du dramaturge togolais articule des pensées autour d'une langue comme vision du monde, affirmation d'une liberté, ou, au contraire, d'une aliénation et d'un emprisonnement, d'une inféodation plus ou moins perverse. 

Cependant, malgré ces enjeux centraux et très sérieux, Comme la France est belle ! n'équivaut pas à un spectacle purement intellectuel ou élitiste, cultivant aussi l'humour et la satire autour de préjugés méprisants et de réminiscences coloniales exprimés par le personnage interprété par Frédéric Blin, qui dit même à la fin à Gustave Akakpo qu'il était mieux au début du spectacle, lorsqu'il mimait un singe - une dénonciation efficace du racisme ordinaire hélas encore trop en vigueur aujourd'hui. 

L'absence de décor conduit à se concentrer opportunément sur le texte, en effet très dense, et les deux comédiens, très convaincants, dans cette sorte de spectacle hybride, relevant à la fois de la pièce de théâtre, de la performance ou encore du discours politique et militant. 

Les interruptions fréquentes du personnage de Frédéric Blin montrent éloquemment que le discours, pourtant très pertinent de Gustave Akakpo, a du mal à être entendu ; que beaucoup, peut-être, ne veulent même pas l'entendre et le comprendre. 

ZOOM

Gustave Akakpo, un artiste très polyvalent

Écrivain et comédien, Akakpo officie également comme conteur, illustrateur, plasticien et animateur culturel.

Membre de plusieurs collectifs, associé au TARMAC, l'artiste pluridisciplinaire a participé à de multiples résidences et chantiers d'écriture, notamment organisés par Écritures Vagabondes, au Togo, en France, en Belgique, en Tunisie ou en Syrie. 

Akakpo anime aussi des ateliers d'écriture en Afrique, dans les Caraïbes ainsi qu'en France, en particulier en milieu carcéral ; il a par exemple mené une résidence d'écriture à la Maison d'arrêt de Fresnes pendant dix mois.

De nombreux prix ont distingué son travail : le Prix junior Plumes togolaises au Festival de théâtre de la fraternité, le Prix SACD de la dramaturgie francophone, le Prix d'écriture théâtrale de Guérande, le Prix Sorcières pour son roman - destiné à la jeunesse - et intitulé "Le petit monde merveilleux", et deux fois le prix du festival Primeur à Sarrebruck, en 2008 et en 2011. 

Parmi ses oeuvres théâtrales, on peut surtout retenir "Habbat Alep" - qu'il a écrit en Syrie, ou encore "La mère trop tôt" - centré autour d'une figure de mère courage intrépide, "Chiche l'Afrique", "Même les chevaliers tombent dans l'oubli", ou "Je reviendrai de nuit te parler dans les herbes". 

Matthias Turcaud