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MAKONGO, des chenilles pour une école

Le parcours du combattant de valeureux pygmées.

Malgré le confinement, le festival "Cinéma du réel" a eu lieu sur internet, et plébiscité Makongo, le film poignant du jeune Elvis Sabin Ngaïbino. Gros plan.

Makongo a été le coup de coeur de la Cinémathèque Afrique de l'Institut français à la Mostra de Venise en 2019, et a également obtenu le prix de la Société civile des auteurs multimédia au festival Cinéma du réel 2020 : un beau parcours pour Ngaïbino, et tout un symbole pour un cinéma centrafricain, actuellement représenté aussi parRafiki Fariala.


Accompagné de près par le réalisateur aguerri et formateur aux ateliers Varan Daniele Incalcaterra, qui en a ensuite assuré la post-production à l'échelle européennne, Elvis Sabin Ngaïbino a pu, de surcroît, profiter d'une résidence à Locarno et à Venise. 

En tout cas, son long-métrage n'a en rien usurpé les divers prix qu'il a pu récolter. Pour un premier film, Ngaïbino étonne même par son degré de maturité, et son humilité - qualité capitale, semble-t-il, quand on fait du documentaire. Ici, on ne le voit jamais à l'écran, et on n'entend jamais sa voix off. Le jeune réalisateur centrafricain fait le choix de s'effacer complètement derrière ses personnages, sur lesquels il veut porter l'attention, et dont il magnifie le preux combat - sans rien y ajouter, cela dit ; juste, en le filmant.

Dans Makongo, en effet, deux pygmées, appelés André et Albert, peinent à survivre dans la forêt. Souvent humiliés et moqués en raison de leur différence, ils subissent sans arrêt brimades et injustices diverses.

Makongo-Elvis-Sabin-Ngaïbino

On le voit clairement lors d'une scène de vente de chenilles au marché de Bangui. Ces chenilles, qui donnent leur titre au documentaire, constituent la ressource première d'André et d'Albert ainsi que de leur famille nombreuse. Les grossistes n'hésitent pas à abuser de la gentillesse des deux vendeurs, venus exprès dans la capitale au terme d'un voyage très harassant. Une marchande ose même déclarer que le récipient n'est pas rempli, alors même qu'il déborde de partout. Plusieurs marchands entourent alors André et Albert de manière assez oppressante, veulent sans cesse baisser un prix déjà ridicule pour l'entièreté des fameux lépidoptères.

Pourtant, la modique somme que doit apporter cette vente n'a pas vocation d'améliorer, au moins pour quelques jours, la vie de leurs vendeurs, puisque ceux-ci nourrissent le ferme dessein d'ouvrir une école gratuite à l'attention d'enfants démunis. Une scène très forte, lors de laquelle les deux apprentis enseignants devront à contrecoeur faire une sélection entre les élèves, s'ensuivra notamment. 

Ngaïbino en rend cependant compte sans pathos ni surlignement, de manière discrète, et en se concentrant beaucoup plus sur la dignité, la résilience et la valeur morale de ces deux super-héros "hors normes". D'un oeil attentif, il suit les calculs minutieux, les trocs, la quête de chenilles, les premiers cours improvisés, et, à côté de cela, les danses, les chants, le deuil d'un enfant. 

En plus de retracer une lutte très noble à laquelle André et Albert se prêtent sans rechigner et sans le moindre secours - rappelant, en cela, le Saint monsieur Baly de Williams Sassine -, Makongo constitue l'occasion d'en savoir plus sur le quotidien d'une population méconnue et souvent dénigrée - complètement à tort -, et l'on peut se rappeler d'une époque où les pygmées faisaient l'objet d'un traitement beaucoup plus respectueux. Un film touchant et important.

Remerciements chaleureux à Daniele Incalcaterra, qui nous a gracieusement permis de visionner Makongo.

ZOOM

Le parcours d'Elvis Sabin Ngaïbino

Né en 1990, Elvis Sabin Ngaïbino a étudié la géologie.

Passionné du septième art, il a également fondé avec des amis l'Académie du Cinéma Centrafricain en 2012. Sans beaucoup de moyens, il a d'abord réalisé des films pour la télévision centrafricaine, avant de bénéficier d'une formation au documentaire prodiguée par les Ateliers Varan et l'Alliance française de Bangui - aux côtés de dix de ses compatriotes.

Ngaïbino a pris le son sur plusieurs courts-métrages : "Nous de la ligne rouge" de Nazir Eliakim Raizou, "Mes yeux pour entendre" de Pascale Appora-Gnekindy, et "Chambre numéro 1" de Leïla N'deye Thiam, consacrés à des enjeux de société - religieux, éducatifs ou sanitaires.

Ngaïbino réalise en 2017 un court-métrage, "Docta Jefferson", sur un agent de santé qui exerce la médecine sans diplôme, tiraillé entre sa conscience et le besoin de nourrir sa famille. "Makongo", 72 minutes, entérine son passage au format long.

 

Matthias Turcaud