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MIGNONNES, radiographie d'une jeunesse égarée

BAC

Entre voiles et twerks

Après le succès du court-métrage "Maman(s)", Maïmouna Doucouré passe au long-métrage avec "Mignonnes", où elle épouse à nouveau un point de vue de fillette confrontée au remariage de son père.

Corsetée à la maison, Amy s'y initie à l'extérieur à des "twerks" très suggestifs et pas de son âge.

Le film pointe du doigt une société contradictoire et malade, et pose la question : comment une jeune fille peut se développer de manière saine dans ces conditions ?

Mignonnes reprend les codes de plusieurs genres bien connus - du "teen-movie" au film de danse en passant par le thriller et le documentaire sociologique -, en les revisitant et en les mélangeant. Sans manichéisme ni facilité, Maïmouna Doucouré propose des portraits de personnages complexes et changeants.


La réalisatrice et scénariste fait surtout la part belle aux femmes dans un monde où les hommes s'avèrent absents ou périphériques. Après "Maman(s)", elle confirme aussi sa sensibilité artistique et son abilité à filmer et diriger de très jeunes non-comédiennes, révélant ici Fathia Youssouf, Medina El Adi, Esther Gohorou, Ilanah ou Myriam Hamma, et offre plusieurs scènes très intenses ou marquantes - au premier rang desquelles les chorégraphies des apprenties danseuses. Rencontre.

Quel a été le point de départ de "Mignonnes" ?

Maimouna-DOUCOUREMaïmouna Doucouré : A l’origine de ce projet, il y a une fête de quartier lors de laquelle j’ai vu de très jeunes filles danser sur scène, de façon lascive, une danse qui n’était clairement pas de leur âge. Elles portaient des vêtements très courts, transparents, alors qu’elles n’avaient que onze ans ! Dans le public, il y avait des mamans africaines, d’autres voilées ; j’assistais là à un véritable choc des cultures !

J’ai alors repensé à moi lorsque j’étais enfant et à toutes mes interrogations sur ma féminité en devenir, avec les outils que j’avais en ma possession entre ma culture sénégalaise qui me vient de mes parents et ma culture occidentale.

Je trouve qu’on a tendance à pointer du doigts nos mères et à souligner l’oppression qu’elles subissent parfois, c’était intéressant de m’interroger sur l’objectification des femmes dans notre société occidentale. N’est-ce pas également une forme d’oppression ?

Pendant un an et demi, j’ai recueilli les histoires de centaines de petites filles que j’ai enregistrées, parfois filmées, et de là est né le scénario de Mignonnes.

Comment avez-vous trouvé et dirigé vos comédiennes ? Tout était-il rigoureusement écrit, ou les dialogues proviennent-ils aussi de l'initiative de vos jeunes actrices ?

Maïmouna Doucouré : Le casting, pour moi, c’est la clé par laquelle on accède à une histoire. C’est l’acteur qui, grâce à son interprétation, nous fait vivre des émotions fortes, et nous bouleverse. Donc toute la difficulté était de trouver mes cinq mignonnes. Pour un âge aussi jeune, nous n’avions pas d’autre choix que d'organiser un casting sauvage. On a cherché partout. Dans les écoles, les associations, dans la rue, les centres commerciaux. On a vu 700 petites filles pour trouver nos actrices en herbe.

Par la suite, tout mon travail a été de les préparer au mieux afin qu’elle prenne corps avec leur personnage. Une des techniques que j’ai utilisées est de faire correspondre chacun des personnages à un animal. Par exemple, le personnage de Jess est un ours, celui d’Angélica est un serpent, celui d’Amy est d’abord un chat et devient une panthère. Ça les aidait à trouver la posture juste, la bonne respiration aussi, que ce soit à travers la danse ou à travers leur jeu en général.

MIGNONNES-Maïmouna-Doucouré-par-Jean-Michel-Papazian

Je leur ai beaucoup racontées l’histoire, car je ne donne jamais le scénario à mes enfants acteurs par peur de l’effet « récitation de poésie ». J’aime bien aller chercher une forme de spontanéité. Les dialogues étaient écrits, mais certains viennent d’elles. Nous avons beaucoup travaillé la justesse ensemble. Il fallait qu’elles lâchent prise, qu’elles soient dans le moment présent.

Comment le choix de la chanson "Bum Bum" de Yemi Alade s'est-il imposé ?

Maïmouna Doucouré : Un simple hasard au départ, Yemi Alade est une artiste que j’aime écouter. Puis, quand j’ai vu le clip, ça m’a paru évident de faire danser mes actrices sur cette musique entraînante.

Vous semblez avoir un regard assez pessimiste sur la jeunesse d'aujourd'hui, en proie aux dérives des réseaux sociaux et de l'hypersexualisation. Comment lutter ?

Maïmouna Doucouré : Tous les témoignages que j’ai recueillis m'ont permis de construire mon film au plus près de la réalité. Je dirais que mon regard est plutôt réaliste, avec une aspiration constructive. Le film offre une perspective d’espoir, une lumière au bout du tunnel. J’espère que Mignonnes ouvrira le débat sur l’hypersexualisation des pré-adolescentes afin que l’on trouve des meilleures réponses à ce phénomène.

 

Je pense qu’aujourd’hui, ça devient difficile de ne pas ouvrir les yeux sur cette réalité. Ce film est un cri d’alarme. Quels outils donne-t-on à nos enfants pour se construire ? Politique, système éducatif, parents et artistes, l’action devient urgente.

Vous êtes à moitié sénégalaise. Avez-vous des projets au Sénégal ?

Maïmouna Doucouré : Je suis en train d’écrire un film qui va en partie se tourner sur le continent africain. Je ne sais pas encore si ça sera le Sénégal, mais c’est un projet qui va faire vibrer et honorer l’âme de nos ancêtres.

Et enfin, qu'avez-vous fait pendant le confinement ?

Maïmouna Doucouré : Pendant que je préparais le tournage de Mignonnes, j’ai eu un bébé. J’ai beaucoup travaillé ces derniers mois, alors le confinement a été l’occasion de faire une pause et de profiter pleinement de ma fille.


Comment l'inspiration vous vient-elle d'habitude ?

Maïmouna Doucouré : Souvent, je pars de moi, mon histoire, ma double culture. J’ai conscience qu’en tant que réalisatrice française, c’est ma richesse. Le point de départ de mes créations est généralement un sentiment d’injustice ou une envie de révolte. Une volonté de poser un regard singulier sur le monde, pour le changer… un peu.

Remerciements chaleureux à Maïmouna Doucouré, et l'attachée de presse Manon Galibert.

ZOOM

Sembène Ousmane et Sarah Maldoror

Regardez-vous beaucoup de films africains ? Lesquels vous ont-ils marqué en particulier ?

Maïmouna Doucouré : Pas autant que je le voudrais. Les films qui m’ont le plus marquée sont ceux d’Ousmane Sembene. D’ailleurs, j’ai eu l’honneur de faire jouer dans mon film Mignonnes la talentueuse et charismatique Thérèse Mbissine Diop, l’actrice principale de "La Noire de..." de Sembene.

Il y a également une réalisatrice que j’ai découverte récemment grâce à Aïssa Maïga. Elle s'appelle Sarah Maldoror, considérée comme une pionnière du cinéma africain, puisqu'elle a, dès le début des années 70, réalisé des films sur le continent. Aïssa Maïga devait me la présenter au mois de mars dernier, mais les mesures de confinement dues au Covid-19 ont empêché cette rencontre. Sarah Maldoror est décédée le 13 avril dernier. Rendons hommage à ses œuvres pour la garder encore et toujours à nos côtés.

Je suis sinon heureuse de voir que l’association Cinewax ouvre une plateforme dédiée au cinéma en ligne qui va donner une visibilité précieuse à de nombreuses pépites cinématographiques africaines.

Matthias Turcaud