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LE ZAÏRE ECRIT, joyau méconnu de la poésie congolaise

À exhumer de ses cendres sans plus attendre !

Il fut un temps où ce livre était encore sur les lèvres, mais ce temps est si loin.

Paru en 1976, Le Zaïre écrit - Anthologie de la poésie Zaïroise de langue française est le premier livre à réunir en anthologie les œuvres poétiques d’auteurs congolais (zaïrois à l’époque), il est l'oeuvre de Masegabio Nzanzu.

"Par la fumée embaumée
De l’encens qui brûle
Par le deuil des étoiles aux cendres d’or
-Eyà !" (Incantation de Sumaili N’Gaye Lussa)

Le livre était là devant moi. Je passais dessus une main hésitante pour en ôter la poussière. La couverture était usée. Le temps avait délavé sa couleur, rongé certains caractères. Mon père l’avait acheté bien avant ma naissance, le 9 janvier 1989. À ce que je sache, il était le seul à l’avoir lu. Malgré son insistance, personne n’avait fait de même. Ce jour-là, j’étais bien décidé à découvrir « ce livre à lire à tout prix ».

Je tournais déjà les premières pages. Après l’introduction du professeur V. P. BOL et la préface de l’auteur, j’abordais timidement les premiers poèmes. Longtemps nourri au sein de la poésie française avec ses rimes, sa mesure, ses strophes, il m’était d’abord difficile de m’abandonner aux sonorités inégales de cette musique.

Les poèmes se succédaient devant mes yeux mais ces mots ne trouvaient pas le chemin conduisant vers mon cœur. J’avançais malgré tout, ne perdant pas espoir avant que le poème de Moningi Ngale Monzele : « Prémonition », extrait de « Complainte Bantoue » n’ait définitivement raison de moi.

Désormais je ne me passais plus du livre. On aurait dit qu’il avait libéré une région inconnue de ma sensibilité. Pourtant, chose étonnante, aucun de ces noms ne m’était familier. Comment était-ce possible ? Je connaissais des poètes étrangers. J’avais retenu par cœur beaucoup de leurs poèmes que j’avais appris à l’école. Mais ces hommes enterrés sous la terre que je foule tous les jours, nourrissant le même espoir, ayant la même douleur que moi m’étaient jusque-là complètement inconnus. Bolamba Lokolé, Bontala, Lapeth-Impy a’Ngo, Elebe Lisembe…

Elebe Lisembe

Ancien soldat, né à Bumba, dans la région de l’ex-Equateur, il part pour l’Allemagne de l’est où il obtient un diplôme de journalisme, à Leipzig. Poète, conteur, dramaturge, peintre à ses heures, il a notamment publié Mélodie africaine, Uhuru, Rythmes, Simon Kimbangu ou le messie noir, Orphée rebelle. (Zaïre écrit)

L’anthologie reprenait trois de ces poèmes. Je me revois lisant le fragment « Océan de désespoir » qui continue aujourd’hui encore à résonner en moi.

Demain, je vais mourir
Tu pourras alors m’enterrer
Partout où tu voudras,
Mais laisse ton ombre m’accompagner
Dans ma dernière solitude. (Extrait de Mélodie africaine)

Kishwe Maya

Originaire de Kidzueme, ex-Bandundu, il fut attiré de bonne heure par la vie religieuse et fit des humanités pédagogiques au couvent de Kinzambi. Lauréat du concours littéraire L. S. Senghor (1969), il a donné dans La Flûte païenne l’écho de sa vocation ou de ses vocations trahies. (Zaïre écrit)

Le deuxième poème ayant trouvé écho en moi fut le sien : « Espièglerie ».

Voyez, il se tord
Sous la flèche
Le lézard
Pris au cou
Le sang gicle
Gicle rouge
Et les herbes
En sont tout éclaboussées… (Extrait de La Flûte Païenne)

Célestin Ntambuka Mwene C’Shunjwa


Né à Mwimbi, au Kivu, il entre dans l’enseignement, l’abandonne après quelque temps pour poursuivre au grand séminaire de Murhesa sa vocation religieuse. De son enfance pauvre, il a gardé l’amertume de la vie comme en témoignent ces poèmes. (Zaïre écrit)

Son court poème « les chaînes », l’un de mes poèmes préférés depuis, a réussi à susciter les premières questions qui ont survécu à la fermeture du livre. Aujourd’hui encore, je m’interroge sur son sens caché.

Mon mouchoir est tombé
Derrière les barbelés là très loin
À mes pieds.
Les hommes libres la main sur la joue
Regardaient avec pitié mais ne pouvaient le ramasser,
Et j’ai eu
Pitié
Des hommes
Libres.

Pourquoi était-il en prison ? Pour un crime ou pour avoir revendiqué ces droits sous la dictature ? Impossible de le dire. Pourquoi avait-il un mouchoir ? Peut-être pour essuyer ces larmes ou plus, pour les cacher. (Au Congo, Zaïre à l’époque, conception biaisée, on attend d’un homme qu’il reste impassible devant la souffrance. Pleurer c’est pour les femmes). Ce mouchoir devait donc être la dernière parcelle de sa dignité d’homme.

Hélas, celui-ci vient de s’envoler derrière les barbelés. Les hommes libres le voient tomber. Ils comprennent qu’un homme dans sa situation en a besoin. Peut-être même que le prisonnier demande à quelques passants de le ramasser pour lui. Mais ils sont incapables de faire ce simple geste, d’aider ce rebut de la société. Quelque chose en eux leur ôte la faculté de le faire. Il finit par avoir pitié de ceux qui ont pitié de lui sans pouvoir rien faire.

Le titre du poème est « les chaînes ». Qui en réalité est enchaîné : le prisonnier ou les hommes libres ?

Les autres poètes à découvrir sont aussi nombreux qu’intéressants : Kabongo Zola, Tshinday Lukumbi wa M’Bombo, Vianda-Kioto Luzolo, Sumaili N’Gaye Lussa, Mudimbe Vumbi Yoka, Nzuji Madiya (Clémentine), Ndaywell è Nziem (Isidore) etc.


Le Zaïre écrit - anthologie de la poésie zaïroise de langue française
est donc un livre à « découvrir à tout prix ». Pour cela, il faut déjà le trouver, car le livre devient de plus en plus rare.

Vieux parchemin oublié, sa découverte reste pourtant inoubliable. Les poèmes qui y figurent ont beaucoup à vous dire. Ils ne méritent pas de rester dans la poussière et l’oubli.

ZOOM

L'auteur de l'anthologie, Masegabio Nzanzu

Masegabio-nzanzuPoète, né en 1944 à Bosu-Manji à l’ex-Equateur, docteur en lettres et philosophe formé à l’université Lovanium, Masegabio Nzanzu a dirigé la rédaction de la revue Dombi et fit partie de la nouvelle vague d’écrivains qui s’annonça au début des années soixante-dix.

Il fut le premier président de l’union des écrivains congolais, UECO.

Il fut aussi le premier à rassembler des œuvres poétiques de ses compatriotes contemporains dans une anthologie dénommée « Le Zaïre écrit » en 1952.

Œuvres principales :

"Somme première", "La cendre demeure", "Fais-moi passer le lac des caïmans", "Le jour de l’Eternel", "Tchikaya u Tam’si et le temps des noces".

Patrick Kasongo