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LE VAUTOUR DE LAMPEDUSA, un tour du Congo percutant et émouvant

Editions Calures

Gogo, taarab et beats électro

Le journaliste Iragi Elisha est aussi passionné de littérature. Il le prouve avec un premier recueil de nouvelles, fort réussi, paru aux Editions Calures.

Dans un contexte où accéder à des livres de qualité en bon état et à un prix raisonnable relève d'un grand défi, il s'impose de promouvoir les écrivains de valeur qui émergent. Iragi Elisha est de ceux-là. Son premier livre, Le Vautour de Lampedusa et autres nouvelles impressionne déjà par sa maturité, et sa force.

Iragi-Elisha

L'auteur a choisi la nouvelle, une forme qu'il maîtrise, et dont il exploite bien les différentes ressources. Ses cinq nouvelles, courtes et percutantes, sont de celles dont on se rappelle longtemps. Fuyant tout manichéisme ou toute simplicité, Iragi Elisha propose des histoires et des personnages complexes, reflétant une réalité elle-même complexe.

La nouvelle éponyme en fournit un bon exemple, puisque le photographe qui en est le personnage principal provoque différents sentiments contradictoires. On peut le détester, parce qu'il exploite la misère du monde au profit de sa gloire personnelle ; mais il suscite aussi une certaine pitié, sa femme et sa fille l'ayant quitté - il y a quinze ans de cela -, de manière assez cruelle. On éprouve pareillement de l'empathie pour la protagoniste d'Un œil qui rit, un oeil qui pleure, qui a pourtant commis un grand crime.

Le recueil a le mérite de dépeindre non seulement des personnages complexes et intrigants, mais aussi des relations entre personnages subtiles et intéressantes, qui évoluent : celle entre l'agent humanitaire Guillermo et la jeune Asha dans la très belle nouvelle Silhouette d'une jeune fille l'illustre bien.

Le livre contient plusieurs moments très forts, émouvants et intenses. On y trouve aussi des scènes plus cocasses ou moins dramatiques du moins, à l'image de la détermination farouche du petit écolier bien décidé à braver et la boue et la pluie dans Pluies éternelles, cela pour se rendre à l'école, et devenir, un jour, un grand journaliste.

Les cinq nouvelles, en tout cas, nous alertent sur des anomalies, des dysfonctionnements, des injustices choquantes voire inacceptables. Bien que très court et pouvant être ressenti comme frustrant en raison de sa grande brièveté, le recueil arrive à brosser un tableau du Congo contemporain, entre Bukavu, Goma, Lubumbashi et le fantasme têtu d'une Europe symbolisée ici par la plage endeuillée de Lampedusa. L'auteur se montre soucieux de s'inscrire dans son temps, évoquant Amazon, Pinterest, Eminem ou les liseuses.

Son style convainc aussi. Iragi Elisha sait en effet souvent trouver les mots justes. Dans la première nouvelle, on peut retenir, par exemple, "la chaussure de sport en fin de vie", ou "le Mac qui dormait". Bien qu'il n'enjolive pas les réalités du Congo, on sent dans son écriture beaucoup de sensibilité, de tendresse, de justesse.

Une chose est sûre : l'auteur y a mis tout son cœur, et on attend avec impatience d'autres livres signés de sa plume prometteuse et inspirée.

ZOOM

Un extrait de "Pluies éternelles"

"La veille de ce jour historique fut aussi pluvieuse que le lundi qui pointait son nez à l'horizon.

Toute la nuit, personne ne lésina sur ses moyens pour rendre unique le moment où le joyau de la famille irait à l'école. Sa mère raccommodait une vieille chemise d'un oncle, jadis élève, aux centimètres de son fils cadet. Ses sœurs se mirent au four et au moulin, littéralement. Les unes mettaient au feu une grosse casserole d'huile de palme pour la cuisson des beignets qui seraient mis en vente pour le lancement du projet familial visant à assurer les frais d'étude du futur écolier.

Les autres se disputaient pour être celles qui mettraient les couvertures des sacs de farine USAID sur les cahiers, celle-ci les lignées, celle-là les quadrillés. Une autre faisait mille efforts pour ne pas brûler la seule culotte du petit prince qui n'avait pas séché à cause de la satanée pluie. Un ancien fer à repasser fut débusqué au milieu d'un tas de ferraille dans la cuisine. L'une des filles se le rappela dans l'urgence de la situation et ce fut avec joie que l'outil servit au jour le plus historique de la famille du petit Michel."

Matthias Turcaud