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RAY LEMA, pour plus d'instrumentistes de qualité en Afrique

Gazebo

Eloge du cercle

Cinq ans après "Riddles", Ray Lema collabore une nouvelle fois avec Laurent de Wilde, à l'occasion de "Wheels", une balade gourmande et plaisante autour des rythmes circulaires africains, et différentes sonorités du continent.

L'hyperactif compositeur nous répond par WhatsApp, chaleureux, disponible. Rencontre.

Comment l’album « Wheels » a-t-il vu le jour ?

Ray Lema : C’est la suite d’un autre album que nous avions fait il y a cinq ans. L’album avait tellement bien marché, et de nombreuses personnes nous demandaient le deuxième. Alors, pendant le confinement, on s’est dit : « Voilà l’occasion rêvée ». 

Ray Lema au Fleuve Congo Thomas Freteur

Ray Lema, serein et souriant, au fleuve Congo. © Thomas Freteur

Comment le travail avec Laurent de Wilde s’est-il déroulé ?

Ray Lema : Le premier album était une rencontre, et on a fait trois ans de tournée, où nous étions sans arrêt ensemble. On se connaît beaucoup mieux à présent. On a travaillé dans sa cave, dans laquelle il a aménagé son studio. Il avait déjà un Steinway chez lui, et on a fait amener un deuxième piano Steinway. On a discuté musique et théorie, et on a composé les morceaux ensemble. Cette fois-ci, je voulais tirer notre deuxième album un peu plus vers l’Afrique. On a beaucoup échangé, essayé des choses, enregistré, écouté, puis réajusté le tir.

Pourquoi ce titre, « Wheels » ?

Ray Lema : Cela se réfère à la philosophie rythmique de l’Afrique centrale, qui est circulaire – alors que la philosophie rythmique européenne est linéaire. « Wheels » c’est la roue, et on a voulu faire des roues rythmiques qui tournent sur place à l’image des musiques africaines.

Pouvez-vous nous parler des rythmes congolais 6/8 ?

Ray Lema : C’est une fraction qui détermine un certain rythme : 1,2,3 ; 1,2,3 ; 1,2,3 ; 1,2,3 ; 1,2,3. Chaque battement correspond à une fraction. Le 8 c’est un huitième de note.

Comment le morceau « Lubablue » est-il né ?

Ray Lema : Tout au long de ma carrière, j’ai beaucoup exploité le pentatonique luba. Pour cet album, je voulais absolument utiliser ce mode que je trouve très beau et rare.


Parmi les artistes qui vous ont beaucoup influencé, il y a aussi Fela Kuti, notamment

Ray Lema : Pour moi, il fait partie des grandes figures comme Manu Dibango et Franco. On a de grandes figures qui ont laissé une empreinte instrumentale. Ici, en Occident, quand on parle de musiques africaines, on parle des vedettes africaines, c’est-à-dire des chanteurs africains. Moi, justement, je veux rendre hommage aux instrumentistes africains. Fela Kuti, Manu Dibango et Franco n’étaient pas seulement des chanteurs, mais aussi des instrumentistes. Je veux faire connaître davantage nos grands instrumentistes. Les musiques chantées s’appellent « chanson » aux Etats-Unis ou en France. Ce n’est pas logique qu’on appelle les chansons africaines « musiques africaines ». Je trouve qu’il faut donner la place qui leur revient aux instrumentistes.

D’ailleurs, le Fespaco m’a demandé de venir parler de musiques de films aux musiciens africains. Les cinéastes africains ne peuvent pas seulement travailler avec des coupés-décalés, et des ndombolos. C’est impossible. Il faut que nous, les Africains, fassions des efforts ; et c’est là que nous avons besoin d’instrumentistes. Il faut que nous aidions les cinéastes à rêver et à faire rêver.


Justement, vous avez proposé plusieurs musiques de films, pour « Bienvenue au Gondwana », « Fatou la Malienne » ou « Black Mic Mac ». En général, vous donne-t-on déjà le scénario ou des indications en amont, comment cela se passe-t-il ?
 

Ray Lema : Normalement, on reçoit le scénario, et on le lit ensemble avec le réalisateur. En général, il nous donne des indications de ce que lui aimerait. Il peut vous dire qu’il aimerait tantôt une musique plutôt dansante, ou une musique qui fasse planer. Le metteur en scène donne des indications de base, et on affine ensuite ce qui doit devenir la musique du film en regardant les premières images.


Au niveau des grands instrumentistes auxquels vous rendez hommage, on peut aussi citer Mulatu Astatke.

Ray Lema : Là aussi, comme pour le pentatonique luba, il s’agit d’un mode remarquable, typiquement éthiopien, que j’ai réutilisé à différents moments de ma carrière. J’ai demandé à Laurent à ce qu’on investisse également ce mode-là, et il a été très gentil. C’est vraiment devenu un frère.

Malheureusement, en Afrique, nous n’avons pas beaucoup de musiques instrumentales modernes, et je pense que c’est très important que les gens en Afrique écoutent davantage de musiques instrumentales, qui font travailler l’esprit de manière différente de la chanson.

Votre carrière est impressionnante. Quel est le secret de votre longévité ?

Ray Lema : Mes jeunes frères musiciens me posent souvent la question, et je leur dis qu’ils doivent s’entraîner à tomber amoureux d’autres artistes. Je pense qu’on reste inspirés en tombant amoureux d’autres artistes. Il faut admirer les autres musiciens sincèrement, apprécier ce que d’autres ont et ce que d’autres n’ont pas ; cela tire vers le haut.

Remerciements chaleureux à Sophie Louvet et Catherine Benainous.

ZOOM

Retour aux sources

Pourriez-vous nous rappeler comment vous êtes devenu musicien, s'il vous plaît, Monsieur Ray Lema ? 

Ray Lema : En fait, je devais devenir prêtre, j'avais douze ans. En arrivant au petit séminaire, on nous a fait des tests d'aptitude, et puis le père qui nous avait testé m'a dit : « Toi, tu es musicien. » On ne nous avait jamais posé la question, on m'a simplement dit que j'étais musicien, et on m'a mis au travail.

Matthias Turcaud