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LES PRÊTRESSES DE L'AFROFUTUR, une fusion kitoko

Art & Musik du Monde

Electro et afropunk tribal

Germaine Kobo et Bella Lawson conjuguent leurs énergies, leurs langues et leurs talents pour un premier single détonant. Rencontre !

Comment êtes-vous devenue(s) artiste(s) ?

Germaine Kobo : Pour ma part, je suis devenue artiste, parce que je voulais partager ce que j'avais à dire. J'ai toujours voulu être auteur, et j'ai toujours écrit des textes, des nouvelles et des histoires. Finalement, j'ai réalisé que je pouvais écrire des nouvelles tout en respectant les contraintes musicales en écrivant des chansons. C'est un exercice amusant et un bon défi pour moi. Dans un premier temps, nous racontons notre histoire, puis nous abordons d'autres sujets qui nous intéressent. Cependant, le fil conducteur reste et restera l'émotion.

Bella Lawson chante depuis qu'elle est enfant. On disait qu'elle avait une jolie voix et qu'il fallait la laisser chanter. C'est ainsi qu'elle a réalisé son rêve en arrivant en France.


Quelles musiques ont-elles bercé votre enfance ?

Germaine Kobo : Je suis née en Belgique et j'ai grandi en France. Mes influences musicales sont principalement européennes, allant des chansons françaises comme Gainsbourg à la pop et au rock classique comme Simon and Garfunkel, Brel et Dire Straits, mais je suis toujours ouverte à de nouvelles choses. Mes premières découvertes ont été Tracy Chapman et Cesaria Evora, et je découvre maintenant toutes les musiques africaines.

Bella Lawson : Je pense avant tout à la chanteuse togolaise Bella Bellow, qui a un répertoire traditionnel et dont j'ai chanté les chansons. Je pense aussi à Myriam Makeba. Quand j'étais chanteuse de zouk, j'écoutais Angélique Kidjo, Yémi Alade, Charlotte Dipanda, Manu Dibango, et d'autres.

Germaine Kobo et Bella Lawson 2 Aucepika Photographe

Crédit photo : Aucepika. 

Quelles formations musicales avez-vous suivies ?

Germaine Kobo : J'ai commencé le violon à 6 ans, mais j'étais très mauvais élève, puis au bout d'un an j'ai suivi des cours de piano, je le vivais comme une contrainte, en parallèle, je suivais des cours de solfège. Pendant 4 ans. J'aimais la musique, en écouter, mais à l'époque je n'aimais pas en faire. Et puis quand j'ai eu 20 ans, je me suis achetée une guitare nylon, et j'ai commencé à gratter seule, très vite j'ai composé mes propres chansons. J'ai tout de suite été séduite par cet instrument, c'était celui qui me correspondait. Tout ce que je sais aujourd'hui, je l'ai principalement appris seule.

Mais grâce au Prix des Musiques d'ICI que nous avons reçu en 2018, nous avons eu la chance Bella et moi de suivre des sessions de perfectionnement au Studio des variétés à Paris. Nous avons pris des cours de chant avec Sarah Sanders, j'ai pris des cours de guitare avec Julien Guerreau, et des cours de MAO avec Jean-Paul Gonnod. Ce qui a permis d'étoffer notre répertoire.

Bella Lawson : Je n'ai jamais pris de cours de chant. Jusqu'à l'obtention du Prix des Musiques d'ICI en 2018. J'ai pris des cours avec Sarah Sanders, de manière intensive, en solo et avec Germaine. Elle m'a transmise des méthodes de travail qui m'ont fait énormément progresser.

Bella Lawson au Théâtre de Verdure Lawrence Damaine redimensionné

Bella Lawson au Théâtre de Verdure. Crédit : Lawrence Demaine.

Comment se passe votre collaboration avec Bella Lawson ?

Germaine Kobo : La plupart du temps, j'écris sur une idée ou un sujet que j'ai envie d'explorer, et j'utilise surtout du texte. Et puis je le joue sur une guitare sèche, en faisant quelques accords, et quand ça commence à sonner, je sais que j'ai trouvé quelque chose, une bonne mélodie, un bon riff. Si je pense que c'est bien, ça deviendra obsessionnel ; Je sais que l'idée est là, et je ne peux pas m'empêcher d'y penser ; sinon, l'idée m'échappera et je la perdrai. Je la donnerai à Bella, une fois que j'aurai mis quelque chose en ordre. Quand elle ne réagit pas, quand elle fronce les sourcils, je sais que ça ne lui plaît pas, alors je lui fais une autre proposition.

On travaille de cette manière, puis parfois, on s'aperçoit qu'on s'est trompées, et on découvre qu'on n'a pas terminé notre tâche. Plus de percussions, plus de violons, etc... à défaut de groove, chaque morceau doit être chargé d'émotion, chaque morceau doit raconter une histoire, qu'elle soit légère, profonde ou dramatique. Cependant, si elle est inspirée, si c'est simple et s'il est facile de trouver la reformulation, alors on sait que c'est la bonne chanson que l'on a écrite. On sait que l'on a fait du bon travail, et que l'on peut la présenter au public. 

Comment en êtes-vous arrivée(s) à mêler électro et afropunk tribal ?

Germaine Kobo : Je crois que l'on est vraiment à l'écoute de nos envies et de nos influences, et que la dimension la plus importante est "Qu'elle est la musique que j'aimerais entendre". Nous répondons à ses questions en jouant une chanson simple et en la chantant. Notre univers, nos inspirations, nos envies, notre éducation et notre culture sont constamment entremêlés. Nous donnons notre consentement à cette liberté intellectuelle. Parce que nous venons d'univers complètement différents, cela permet des champs très larges. Être adaptable. Je joue de la guitare et de l'électro, et Bella est afro ; l'une ne veut pas faire un pas en avant, et l'autre ne veut pas faire un pas en arrière, tour à tour, on est devant et derrière. Nous ne faisons qu'un, comme une danse. C'est la convergence de nos deux univers qui donne naissance à l'électro et à l'afropunk tribal.  


D'où vient cette incroyable énergie qui ressort de vos performances scéniques ?

Germaine Kobo : Pour être honnête, je ne suis pas sûre. Je crois que quand on est sur scène, on est heureuses, le public captivé, veut aussi s'amuser. C'est le moment que je préfère, même si le trac apparaît de temps en temps, j'oublie assez vite que je suis sur scène. J'adore ses moments et j'aimerais pouvoir continuer à jouer indéfiniment. Nous avons ce point en commun. Bella Lawson est une showgirl, et lorsque nous sommes en transes, l'énergie passe de l'une à l'autre.

Comment s'est déroulé le tournage du clip à l'Espace Julien à à Marseille ?

Germaine Kobo : Dans le bon sens, de la motivation, de l'énergie et une envie de réussir. Trois ingrédients pour un grand succès. Tous les participants étaient réunis. Aussi, le temps a été beau, car il y a eu des scènes en extérieur. Une belle collection d'experts, que nous avions mis en place depuis plusieurs mois. Malgré les contraintes sanitaires, nous avons pu réaliser cette vidéo en seulement deux jours. Tous les acteurs qui ont participé avaient un fort désir de réussir, et je suis reconnaissante que nous ayons pu terminer cette vidéo. Des heures de rush ont été programmées. Il y avait beaucoup de bonne matière pour la production de la vidéo. Nicolas Debru alias Lasko a été très visionnaire, j'avais déjà travaillé avec lui sur plusieurs projets, donc je connaissais bien son fonctionnement, et sa méthode de travail, j'étais en confiance.

De quelle manière avez-vous travaillé avec le chorégraphe Alphet Bokapa ?

Germaine Kobo : Je l'ai contacté il y a quelques mois, et nous avons fixé un rendez-vous. Il a entendu notre chanson et m'a dit qu'il pourrait faire une création basée sur celle-ci, Bella Makossa. Il nous a montré l'évolution de la chorégraphie qu'il mettait en place au fil du temps. Il a embauché ses meilleurs danseurs, qui sont aussi professeurs dans son école. Deux garçons et deux filles, puis il apparaît dans la vidéo en tant que danseur masqué. C'est vrai que c'est un passionné de la danse africaine, qui a son aura personnelle.


Qu'éprouvez-vous quand vous faites de la musique ?

Germaine Kobo : Je dirais qu'il y a différents niveaux, il y a la création, c'est un de ces moments qui n'a pas de prix, je n'ai qu'une ébauche, un morceau que j'avais rangé dans un placard, et puis j'ai envie d'en faire quelque chose, pour le montrer. C'est une phase intime, une phase étrange où je suis seule avec moi-même. Je tourne en rond et j'ai besoin de me réinventer. Si j'y arrive, je serai satisfaite et fatiguée, mais ce sera une phase solitaire.

Et puis je le partage avec Bella, et on le recrée pour la scène, même si c'est dans mon garage, qui n'a rien à voir avec une salle de concert. On l'imagine avec le public, on le devine. On prend le temps de l'enregistrer en studio. Et si la scène est sublime, l'apothéose est plantée. J'ai une sensation infinie de bien-être, de l'énergie que le public m'envoie ; je suis heureuse et je ne veux pas être ailleurs.

Quelle part laissez-vous à l'improvisation dans vos créations ?

Germaine Kobo : Il y aura toujours une part d'invention et d'improvisation, car je n'ai aucune idée de la réaction du public. Certaines chansons auront plus de succès que d'autres. Et je ne sais pas comment planifier cela. Il y a des chansons avec plus d'interactivité, mais nous en recherchons constamment. Et puis il y a des choses qui surgissent et qui ne demandent rien de plus qu'être lâchées ; nous ne les retenons pas et nous sommes toujours à leurs écoutes.

GKBL crédit Château de Goutelas 2 redimensionné

Les paroles sont en lingala et en mina. Comment les avez-vous conçues ?

Germaine Kobo : Au début, nos chansons étaient traduites par feu « Bienvenue Séné Mongaba », écrivain belge et congolais décédé en 2021. Je les écris seule aujourd'hui en lingala, grâce à internet. Bella les chante en Mina. C'est notre marque de fabrique, alors elle chante en Lingala et je chante en Mina. C'est amusant, parce que ses fans et amis proches adorent. C'est aussi valoriser la culture africaine, apprendre à l'apprécier un peu plus.

Êtes-vous épanouie(s) à Marseille ?

Germaine Kobo : Nous sommes ravies que, sous le soleil de Marseille, ville cosmopolite riche d'une culture diverse et variée, nous ayons l'opportunité cette année d'être des artistes associés à l'Espace Julien, dès 2022, grâce au soutien de la salle de spectacle, ainsi que de la ville de Marseille et de l'association Onde Source (porteuse du projet). Notre projet est également promu au niveau national, où nous nous produisons régulièrement, ainsi qu'au niveau international.

Quels artistes africains vous ont-ils notamment influencé ?

Germaine Kobo : Rokia Traoré, Cesaria Evora, Amadou & Mariam, Angélique Kidjo, Yémi Alade, Charlotte Dipanda, Youssou Ndour, Fatoumata Diawara, Alpha Blondy et Ali Farka Touré sont parmi ceux que j'admire. J'ai oublié Koffi Olomidé, Papa Wemba et Fally Ipupa. La liste est bien trop longue.

Avez-vous donné carte blanche aux designers togolais Baba Komlan et Mara Dia Thies ?

Germaine Kobo : Nous travaillons depuis plusieurs années avec le créateur togolais Baba Komian. Il crée les tenues en fonction de nos demandes ; nous lui envoyons nos modèles, et il les crée à Lomé avec sa touche personnelle de grand designer ; les finitions sont toujours impeccables. J'aime les modèles neufs et vintage. C'est un grand couturier.

Mara Dia Thies a travaillé pour nous sur le vidéo-clip, et nous lui avons donné les modèles. Il a créé les costumes des danseurs, du chorégraphe Alphet Bokopa. Il est basé à Marseille.


Comment le clip a-t-il été réalisé ? Avez-vous donné beaucoup d'indications aux réalisateurs Nicolas Debru et Aka Lasko ?

Germaine Kobo : La vidéo a été tournée en full HD avec plusieurs caméras (steadycam). Nous avions convenu (écrit entièrement en amont) que ce serait sous forme de tableaux qui se succèdent. Le jour 1, il y avait 7 tableaux, chacun avec son propre décor, son ambiance, un ensemble de lumières et de figurants ayant leurs propres rôles et tenues. Il y avait 5 tableaux le jour 2. En cas de pluie, il y avait un plan de secours car il y avait des prises à l'extérieur.

Nous avons bénéficié du professionnalisme et de la chance. Il avait une trame à suivre, et puis il y avait la magie des gens, ce jour-là, capter, comprendre la musique en amont, je savais qu'il avait cette sensibilité, cet œil. Ca été un clip difficile à réaliser, exigeant car il est beaucoup plus long que la moyenne, mais je savais qu'il pouvait le faire. Nous sommes souvent coincés dans nos doutes et nos regrets, mais nous savons que c'est la seule façon d'accomplir quelque chose de significatif, quelque chose qui ait du sens. Je suis très heureuse de lui avoir confié cette tâche et le remercie infiniment de nous avoir donné cela.

De quelle manière l'inspiration vous vient-elle ?

Germaine Kobo : Mon carburant est l'émotion, les sentiments, la tristesse et la colère que j'essaye de transformer. De ses expériences quotidiennes, des personnes que je croise, et qui me racontent ou non leur vie, des histoires qui m'inspirent, et des livres. J' écoute, l'oreille sensible et secouée par le monde qui m'entoure, et puis les mots viennent, ils jaillissent, me submergent, m'emprisonnent ; les idées et les mélodies, les choses à dire et à partager, et la musique devient visuelle, éthérée et hypnotique.

Pouvez-vous nous parler de "Kitoko", l'album que vous dévoilerez cet automne ?

Germaine Kobo : Kitoko veut dire "belle, jolie" en lingala, c'est notre côté chic & électro. Nous aimerions que cela soit également entendu dans notre musique, alors nous y travaillons.
Cet album, qui sera divisé en plusieurs parties, racontera une série d'histoires courtes.
Bienvenue dans notre « Afro-futur », où l'on parlera aussi de nos ancêtres car si on ne sait pas d'où l'on vient, on ne saura pas quelle direction prendre, et puis enfin, il s'agit ici d'une Afrique émancipée, décomplexée. Un album éclectique, débordant de nos influences.

Quels messages voulez-vous faire passer avec votre musique ?

Germaine Kobo : Nous sommes heureuses d'être des femmes et nous voulons valoriser la culture africaine parce que nous pensons qu'elle est belle. Nous voulons avancer en groupe. Nous valorisons le vivre ensemble, ainsi que l'amour, la beauté et l'art.

Pouvez-vous enfin nous éclairer sur votre nom, les Prêtresses de l'Afrofutur ?

Germaine Kobo : Bienvenue dans notre Afro-futur, et pour en savoir plus, venez à nos spectacles... tout ce que je peux dire, mais il y a un secret : si vous venez, vous vivrez une transformation hypnotique.

Remerciements chaleureux aux Prêtresses de l'Afrofutur et à Germaine Kobo, ainsi qu'à Groover, la plateforme sur laquelle nous les avons découvertes.

ZOOM

La genèse de "Bella Makossa"

Comment le morceau "Bella Makossa" a-t-il vu le jour ?

Germaine Kobo : "Bella Makossa" est né, parce que quand je l'écrivais, je pensais à Bella Lawson, qui est le thème de la chanson. C'est la tradition togolaise qui se modernise. C'est pourquoi je voulais que Bella soit la chanteuse principale de cette chanson. Je voulais entendre une belle voix africaine, graviter vers le côté électronique des choses. Nous avons dû l'enregistrer quatre fois pour obtenir le résultat que nous avons aujourd'hui.

Nous l'avons beaucoup joué en live, et nous avons remarqué que c'est une chanson populaire ; le plateau bougeait fréquemment et les gens étaient souvent attirés par notre musique après l'avoir entendue. Nous avons donc voulu que ce soit le premier titre à partager, car il nous représente bien, il est complètement à notre image.

Matthias Turcaud