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LE FRANC, parabole tendre et lucide

JHR Films

"Les petites gens sont mes idoles"

Mambéty rend ici un bel hommage à ceux qui "n'auront jamais de compte en banque", et "pour qui tous les matins constituent le même point d'interrogation"...  

Marigo, un musicien sans le sou, attire le courroux de sa bailleuse pour ne pas avoir payé son loyer depuis six mois. Celle-ci lui confisque alors son congoma, son instrument de musique et son unique gagne-pain. Par hasard, Marigo trouve un billet de 1000 francs avec lequel il obtient un billet de loterie auprès d'un nain nommé Langouste. Soucieux de trouver une bonne cachette en attendant le tirage, le musicien dissimule le billet sur sa porte, et le recouvre d'une affiche sur laquelle on peut voir son héros, Yadikoone Ndiaye. Le soir, il apprend que le ticket gagnant est le sien ! Il lui faut à présent décoller le ticket pour pouvoir remporter la somme ! Or, Marigo a utilisé une colle très forte...


Le film impressionne par sa grande densité et sa richesse... dans le propos. On peut le regarder et l'interpréter de plusieurs manières différentes. Comme La Petite Vendeuse de Soleil qui viendra quelques années après, Le Franc permet à son réalisateur de mettre sur le devant de la scène des "petites gens" oubliées, qui doivent faire preuve au quotidien d'une ingéniosité incroyable simplement pour survivre. Pour Mambéty, leur rendre hommage était une obligation, comme le montrent les propos suivants : "Les petites gens sont mes idoles. Je n'ai pas d'autres héros. C'est pourquoi je suis revenu derrière la caméra. Le temps presse. Le cinéma a cent ans et moi, un demi-siècle. Je dois rendre compte de ces gens." 

Le Franc s'apparente également à un conte ou une fable riche... en enseignements. Retrouver un ticket de loterie gagnant devient seulement le prétexte à une expérience très formatrice : l'arrivée compte bien moins que le chemin ! Il s'agit aussi d'une comédie optimiste, qui prescrit, à l'instar de son protagoniste, de ne jamais se laisser abattre. On peut enfin lire le film comme un témoignage sur la dévaluation du franc CFA et ses répercussions sur les "petites gens" que filme Mambéty.

On le voit : le film s'avère très dense, et... riche - sans mauvais jeu de mots, ce bien qu'il ne dure que 45 minutes, comme "La Petite Vendeuse de Soleil". Il entremêle les genres - Le Franc tenant à la fois du documentaire, de la comédie sociale, du réalisme magique, du conte philosophique et du film expérimental -, et témoigne du désir de renouvellement et d'innovation des formes narratives qui animait fortement Djibril Diop Mambéty. Cette dimension supplémentaire et cet optimisme forcené, la présence constante de l'humour - même sous une forme discrète - permettent d'éviter tout misérabilisme et tout pathos malgré la gravité de certains thèmes abordés, comme dans "La Petite Vendeuse de Soleil". 

Le titre polysémique reflète d'ailleurs bien cette richesse... du propos, puisque, comme le déclare Mambéty lui-même en 1994 : "Le titre du film LE FRANC ne désigne pas seulement la monnaie à gagner ou à voler - franc français, CFA africain ou franc suisse - mais aussi l'homme franc." Désigner le protagoniste comme "franc" renvoie de même à l'univers des contes.

Mambéty confirme sinon avec ce film sa prédilection pour les acteurs non-professionnels qu'il savait très bien choisir et diriger : ici notamment Dieye Ma dans le rôle principal, qui s'avère à la fois très charismatique et attachant. 

ZOOM

Yadikoone Ndiaye

Ce "Robin des bois sénégalais", né près de Nguekkoh, est passé à la postérité pour ses nombreux vols et sa redistribution des richesses dans les années 1950-1958.

Comme le rappelle Pape Mor Fall, "ce qu'il prenait aux gens, il le donnait aux enfants". Il avait aussi l'habitude de défoncer les portes de cinémas pour permettre aux enfants qui n'avaient pas l'argent pour acheter un ticket d'assister aux séances.

Réputé pour sa grande générosité, son courage et son panache, il est devenu une vraie légende. Djibril Diop Mambéty avait justement créé une fondation qui porte son nom afin d'aider les enfants de la rue.

 

Matthias Turcaud