Films / république-centrafricaine

SIRIRI, un engagement pour la paix en Centrafrique

Outside The Box

Saints de Bangui

Depuis plus d'une décennie, la Centrafrique vit une guerre civile entre plusieurs factions au détriment de la paix des populations. Le réalisateur suisse Manuel von Stürler a suivi le combat de deux personnalités religieuses, le charismatique cardinal Dieudonné Nzapalainga et l'efficient imam Oumar Kobine Layama dans leur quête de rétablir la paix entre les parties en conflit.

Une scène de chaos en ouverture à l'Église de Fatima dans la capitale, des voix qui montent lors des rencontres avec les Catholiques ou les Musulmans à l'intérieur du pays, un camp en cendres et des regards vides, désespérés, en colère. Bangui, province de la Lobaye, Bangassou, Genève. Rivières, voyages sur des routes dangereuses tant par leur mauvais état que par l'insécurité de milices, le documentaire de von Stüler n'est pas une mosaïque de la Centrafrique sociale et instable. C'est surtout un pas à pas, sur la braise chaude, avec deux hommes volontaires, résilients et déterminés à réunir des morceaux éparpillés d'un pays qui se déchire.


Pendant 1 heure et 15 minutes, la quête des éminences Nzapalainga et Layama, entrecoupée par une voix off, permet de se rapprocher d'une réalité que les médias ne racontent qu'à des kilomètres de Bangui. « À l'heure où les Chrétiens et les Musulmans se regardent en chiens de faïence, je me suis dit que leur histoire était trop rare pour ne pas le raconter », explique le réalisateur en début du documentaire.

Tout l'intérêt de cette œuvre puissante reste la place accordée aux populations chrétiennes ou musulmanes. « Comment renouveler notre croyance en Dieu ? Ici, nous n'y croyons plus » déclare rageur un des déplacés du camp de Biria, à 600 km de Bangui lors d'une visite nocturne du cardinal. On entend les uns et les autres se rejeter la responsabilité des tensions entre les Anti-Balaka et les Selekas. Une impasse qui cache la raison derrière le conflit centrafricain. « Siriri », (paix en Sango) prend le parti de ne pas se pencher sur les milices ou les politiques, une tâche qui serait périlleuse. Le film se concentre sur l'homme et la femme, l'enfant et le croyant victime d'une crise humanitaire qui ne cesse de semer la terreur.

« Notre terre est pleine de richesse. C'est cela qu'ils convoitisent », condamne le Cardinal Nzapalainga. Son homologue, l'imam Oumar Kobine, président de la communauté islamique de la République centrafricaine, parcourt aussi des kilomètres entre visites d'école, rencontres avec des chefs de quartier et traversées de rivières sur des barques. La voix traînante de celui qui est décédé en 2020, deux ans après la réalisation du documentaire, fustige aussi les politiques tout en prêchant la paix.


Par deux fois, deux panneaux de Total Énergies, géant français du pétrole, sont visibles lors du documentaire, à Bangui et à l'intérieur du pays. Ces clins d'œil innocents rappellent que la Centrafrique, malgré ses conflits internes, reste un des pays sur lesquels les multinationales comptent pour leurs investissements en Afrique. Ce conflit, comme le répètent plusieurs intervenants, des populations aux personnages principaux, n'est pas que religieux. Il est aussi économique et politique. « La rumeur et les soupçons échaudent l'esprit, seule la vérité rétablira la paix », conseille un des personnages lors d'une rencontre avec la communauté musulmane.

Quels prix doivent payer ces hommes pour sillonner ces magnifiques forêts dans lesquelles se terrent des milices qui menacent leurs vies ? Avec quels mots ces deux hommes adouciront-ils les maux des victimes des exactions lors des rencontres dans les camps ? Comment expliquer cette générosité sur les visages des certains habitants ?

Lors d'une visite à Lobaye, la délégation qui rentrait se retrouvait croulante sous des présents allant d'une chèvre à des poulets ou des produits champêtres, selon les moyens des habitants. Ces mêmes populations doivent répondre au dilemme entre rentrer dans les forêts ou rester dans des camps, souvent attaquer, sans compter sur l'intervention des Casques bleus dont nombreux pointent du doigt. « Siriri », tourné dans des conditions difficiles, de prise de risque et d'un besoin de montrer prouve que le cinéma joue son rôle dans la société pour interpeller, mais aussi pour mettre en avant les efforts louables de ceux et celles qui n'acceptent pas de rester silencieux.

ZOOM

Cardinal Dieudonné Nzapalainga, le futur pape ?

Le film permet de se plonger dans le quotidien du cardinal Nzapalianga (55 ans), archevêque de Bangui.

Conseillé du pape François, l'homme parcourt son pays depuis la capitale vers les villes de l'intérieur de la Centrafrique ou des zones très enclavées. Influent et très en vue au Vatican, il est parmi les profils les plus évoqués lorsqu'il s'agit de penser à un pape africain à Rome dans l'avenir. En 2022, une spécialiste a estimé, dans "Le Monde", que le cardinal « semble cocher presque toutes les cases » pour le poste pontifical.

Avec l'imam Oumar Kobine et le pasteur de l'Église évangélique Elim Bangui-M'Poko et chef de l'Église protestante centrafricaine, le cardinal Nzapalainga formait un trio que la presse a renommé « les Trois saints de Bangui ».

Iragi Elisha