Bandes dessinées / tchad

ADJIM DANNGAR, le récit d'un "apprentissage"

Delcourt

De la satire à la sincérité

Séduits par Djarabane, nous avons eu l'occasion de dialoguer avec Adim Djanngar, qui s'est librement confié à nous sur la genèse de cette nouvelle BD, ses influences, son parcours, ce qui a guidé ses différents choix...

Comment avez-vous commencé à dessiner ?

Adjim Danngar : Le dessin remonte vraiment à l'enfance, je ne sais pas exactement à quel âge. A l'école primaire, je dessinais déjà beaucoup avec mes camarades sur des cahiers d'amitié, en fin d'année scolaire. Et puis, petit à petit, je me suis orienté vers la bande dessinée, parce que je lisais beaucoup de bandes dessinées quand j'étais jeune - les Hergés, les Astérix, je les recopiais, ça me faisait la main ! Je dessinais aussi d'après nature, là ça a été un peu plus difficile, parce qu'il fallait que les personnes à dessiner se reconnaissent dans leurs positions.

Je dessinais par exemple ma mère en train de tresser des nattes à ses copines. Ensuite, je leur montrais ce que j'avais produit, et je gagnais quelques sous pour aller voir des films avec Jackie Chan ou des Rambos dans le ciné-club du quartier.

En classe de 4ème, j'ai décidé de faire moi-même de la bande dessinée. Je commençais à lire aussi des comics - comme « Spy », « Spiderman » -, j'aimais bien, mais j'avais l'impression qu'ils étaient très loin de ma réalité de Tchadien. Je me suis dit : Pourquoi ne pas créer mon propre super-héros et lui faire vivre des aventures extraordinaires ?

J'ai ainsi créé Pepito, qui cassait la gueule à des dictateurs. Je m'étais inspiré des codes en termes de case, mais en ne respectant pas toujours le rythme. Ca faisait environ une trentaine de pages. Mon père avait vu ces dessins, pendant, et il m'avait encouragé en faisant des photocopies et en les agrafant, comme si c'était un fanzine. Ca m'avait beaucoup galvanisé. En 3ème, je continuais à bien étudier, mais aussi à dessiner. Les marges de mes cahiers étaient remplies de personnages qui couraient dans tous les sens !


Vous avez ensuite suivi l'atelier « Bulles de Chari » ?

Adjim Danngar : Des amis à moi avaient vu que je faisais de la bande dessinée de manière désordonnée, et ils m'ont parlé de cette association qui apprenait aux jeunes à faire de la bande dessinée de manière professionnelle. Ca a été une apothéose et une claque pour moi. A la maison, on me présentait comme quelqu'un qui savait très bien dessiner, mais à l'atelier « Bulles de Chari », il y avait d'excellents dessinateurs et ils étaient nombreux ! Là-bas, on trouvait aussi des livres théoriques sur la bande dessinée que j'ai beaucoup feuilletés. J'ai appris ce qu'est un scénario, une ellipse, comment composer une planche, comment faire en sorte que le lecteur lise une histoire avec aisance. Ces livres m'ont permis de progresser. On apprenait sur le tas, de manière collégiale.

En plus, je me suis inscrit au Centre Culturel Français, où j'ai découvert encore d'autres auteurs et d'autres manières de dessiner. Sinon, j'allais aussi au marché noir, où je trouvais des magazines comme « Fluide Glacial ». Je les retrouvais rarement en bibliothèque. C'étaient sûrement des expatriés qui s'étaient débarrassés de leurs exemplaires en trop, et ça faisait ma joie. « Fluide Glacial » m'a permis de découvrir le calembour à la française.

On s'appuyait beaucoup sur Hergé, en s'inspirant notamment de ses coups de théâtre, et de sa manière de donner envie aux lecteurs de tourner rapidement la page. Par la suite, je me suis orienté vers le dessin de presse, et ça a été la meilleure école.

Pensez-vous que vos dessins satiriques vous ont influencé pour votre première bande dessinée « Mamie Denis » ?

Adjim Danngar : Oui, effectivement, pour « Mamie Denis », j'ai vraiment assumé le côté caricatural. Elle a été faite avec Christophe Ngalle Edimo, qui aime bien aussi proposer de la caricature, c'était un projet commun. En revanche, dans « Djarabane », j'ai très peu eu recours à la caricature, même s'il y a de l'humour par-ci, par-là. Ces deux BD sont foncièrement différentes. La deuxième est beaucoup plus personnelle.

Votre BD donne une grande impression de liberté. Le nombre de pages était-il défini au préalable ?

Adjim Danngar : Le nombre de pages (196) était déjà défini, mais l'éditeur s'est montré très compréhensif. Je sentais que je devais faire beaucoup d'ellipses par exemple, et j'ai pu bénéficier de vingt pages supplémentaires par rapport à ce qui était prévu au départ (176). Les éditeurs ont été très patients avec moi, et m'ont laissé m'exprimer comme je le voulais. Je n'ai pas rencontré d'obstacles très contraignants en réalisant cette BD.

Cette fois, vous avez tout fait, y compris le scénario. Cela vous a-t-il apporté une satisfaction supplémentaire, en plus de demander beaucoup de temps ?

Adjim Danngar : Ca a pris du temps effectivement, mais c'était vraiment nécessaire. C'était en moi, j'avais besoin d'exprimer cette histoire moi-même. C'est mon pays et ma culture. Même si je ne suis pas retourné au Tchad depuis, je continue à vivre au jour le jour tout ce qui s'y passe, et je me remémore très bien de tout ce que j'ai vu enfant. Au niveau de l'écriture, j'ai eu un grand plaisir à le faire.


Vous utilisez différentes techniques dans « Djarabane » (les aquarelles, l'encre de Chine, le papier découpé). Comment ces différents choix se sont-ils imposés, y compris celui de mettre le tableau avec le singe en couleur, alors que le reste de la BD est en noir et blanc ?

Adjim Danngar : Je considère « Djarabane » comme un apprentissage, et justement le personnage principal, Kandji, y apprend à peindre, même si ce n'est pas facile pour lui. Le papier découpé sert à montrer sa progression.

« Kandji » veut dire « poisson » en langue sara. Pourquoi ce choix ?

Adjim Danngar : Parce que Kandji est quelqu'un qui marche, qui se déplace beaucoup à la manière d'un poisson. On le voit toujours en train de marcher. Il cherche son chemin. Et un marcheur est aussi un rêveur. En plus Kandji vit dans un contexte très difficile, comme un poisson dans l'eau entouré de beaucoup de prédateurs.

Votre manière de découper me fait beaucoup penser à des storyboards. J'ai l'impression que vous aimez beaucoup le cinéma.

Adjim Danngar : Oui, j'aime beaucoup le cinéma, particulièrement les films de Djibril Diop Mambéty et de Jim Jarmusch. En termes de bande dessinée, pas forcément. Je dessine beaucoup d'après ce que je vois, d'après nature. Je pratique beaucoup le carnet. Après, comme je le disais, les bandes dessinées que j'ai lues durant mon enfance m'ont beaucoup influencé. J'aime bien aussi l'imperfection, l'inachevé. Tout n'est pas parfait ici-bas, donc pourquoi mes dessins devraient-ils être parfaits ?

Remerciements chaleureux à l'attachée de presse Caroline Longuet.

ZOOM

Un hommage à Joseph Brahim Seid

Sur votre site internet, j'ai vu la critique que le poète et romancier Nimrod a consacrée à la bande dessinée. Il a dit que la couverture de votre album le faisait penser à « Au Tchad sous les étoiles » de Joseph Brahim Seid. Etait-ce en effet une référence qui vous a nourri pour cette BD ?

Adjim Danngar : Bien sûr, Joseph Brahim Seid est un des premiers romanciers tchadiens que nous avions lu. Tout élève tchadien connaît « Au Tchad sous les étoiles » de Joseph Brahim Seïd. Ca rappelle aussi quand le ciel est dégagé et qu'on peut dormir à la belle étoile. Tout est très clair, il n'y a pas de pollution lumineuse, on a l'impression de pouvoir plonger dans les étoiles. A certains endroits au Tchad, on peut très bien observer les étoiles. La référence est tout à fait exacte.

En plus, le marché de poisson que fréquentent Kandji et le philosophe Mango est un marché de nuit, qui existe vraiment à Sarh. Il ne commence qu'une fois que le soleil se couche. Cette réalité m'a également inspiré pour la couverture, avec les lampes-tempêtes qui brillent comme des étoiles. Le tableau de Van Gogh m'a également inspiré, sinon.

Matthias Turcaud