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L'EMPIRE DU SILENCE, la sonnette d'alarme de Thierry Michel

JHR Films

Lutter contre l'impunité en RDC

Après 32 ans de tournages et de voyages à sillonner le Congo, le réalisateur belge boucle son cycle par un très puissant documentaire sur les conflits innommables qui minent un pays dans lequel les ressources minières ont provoqué une interminable guerre par procuration dans la région des Grands lacs.

« L'Empire du silence » s'inscrit dans la continuité du cycle Congo en reliant un pan de 20 ans de la chute de Mobutu à 2017. Une démarche de compréhension d'un pays paradoxal, étant à la fois un des plus riches en ressources naturelles, mais avec l'une de populations les plus pauvres de la planète. Si Thierry Michel a choisi un fil narratif pédagogique qu'il assume, ce n'est pas un hasard. Ce dernier maillon de la chaîne vient se nouer à son travail le plus connu sur le Congo « Mobutu roi du Zaïre », qui retrace la saga congolaise de 1960 à 1998, réalisé lors crépuscule du règne du Léopard et sorti en 1999.


Dans « L' Empire du silence », le documentariste « donne la voix » aux victimes de multiples conflits en RDC tout en montrant, en interrogeant et en accusant leurs bourreaux, auteurs de plus de deux décennies de barbarisme. Horreur souvent ignorée que ce soit en RDC ou à l'extérieur. Ce « film bilan pour baisser les rideaux », comme l'explique l'auteur de 13 films et documentaires sur le Congo, offre aussi une tribune d'expression à des personnalités parfois connues à l'international, mais souvent méconnues du public congolais.

Le prix Nobel Denis Mukwege a une place de choix, entre la visite à Lemerha où « la seconde guerre du Congo a commencé », ses passages à l'ONU, et l'obtention de son prix Nobel de la paix en Suède. On retrouve également des témoins comme les journalistes Deogratias Namujimbo, qui a filmé et documenté malgré lui la seconde guerre du Congo, embarqué dans un sillage meurtrier de rebelles ; José Deschartes Menga, journaliste à Radio Okapi décédé en 2021, qui a grandi dans Kisangani, théâtre de la dite guerre de « Six jours » entre les factions ougandaises et rwandaises sur le sol congolais ; ou Federico Borello, coordonnateur du Rapport Maping, entre autres. On peut clairement mesurer le degré d'implication du réalisateur, qui, d'ailleurs, apparaît souvent aux tribunes de l'ONU entre Genève et New York.

Une de critiques majeures contre « L'Empire du silence » insiste sur le fait que le réalisateur s'est largement appuyé sur des « images connues », ce qu'il admet. Il l'a agrémenté des archives, dont certaines qui détaillent l'entrée, le parcours et les tribulations de milliers de réfugiés hutus à Tingi-Tingi en mars 1997 ; le conflit de Kamuina Nsapu dans le Kasaï en 2016 et l'assassinat de deux envoyés spéciaux de l'ONU, Zaida Catalan et Michael Sharp et la peu racontée tragédie des réfugiés rwandais, en fuite et massacrés au large du fleuve Congo en Équateur à des milliers de kilomètres de la frontière avec le Rwanda. On ne peut s'empêcher, en suivant le récit, de mesurer l'immense douleur de milliers de personnes qui vivent sans secours et à la portée d'une mort presque certaine dans les conditions les plus inhumaines.


Tout au long de ce film aussi éprouvant que nécessaire d'1h30, le réalisateur interroge des dizaines de victimes au Kasaï, à Kisangani, en Équateur, et celles vivant dans les coins les plus profonds de « ce pays que nous aimons tant » pour « porter les cris et la soif de justice » de ceux qui ont vécu et vivent les troubles ethniques ou l'incessante guerre que la RDC accuse le Rwanda et l'Ouganda de nourrir. Ce travail de reportage vient compléter une recherche d'archives et une narration en voix française par Thierry Michel lui-même, une manière pour lui de poser son sceau définitif sur un travail bien plus personnel et sur lequel il a eu besoin de « courage » pour montrer de visages de certains anciens rebelles ou sanguinaires aujourd'hui dirigeants occupant des postes de responsabilité en RDC.

« Dans quel pays on nomme ceux qui ont tué, violé et incendié des villages ? Est-ce pour les récompenser ou est-ce par crainte ? » s'interroge un prêtre dans un village à l'est où des sœurs catholiques et des fidèles avaient été massacrés dans une église.

« L'Empire du silence » montre aussi les limites de la justice du système international. Le Rapport Maping, qui documente les violences de l'est du Congo, en citant les noms de commanditaires « moisi dans des tiroirs », déplore Denis Mukwege. Les victimes, contrairement à ce qui se passait il y a vingt ans de cela, s'expriment et ne cachent plus leurs peines. Le réalisateur participe à leur élan.

ZOOM

Un procès malgré une tournée au Congo

Depuis l'annonce de la sortie du documentaire en 2021, Thierry Michel a été accusé de plagiat et de contrefaçon par les frères Balufu, deux réalisateurs congolais.

Le procès intenté à Kinshasa se poursuit et certains membres de la diaspora congolais ont « tenté de le dissuader » de voyager au Congo. « J'ai eu des soucis, dont une agression physique, une exfiltration à Goma » mais « la reconnaissance est favorable au film » a-t-il déclaré. Vouloir l'empêcher serait « une bataille perdue » parce que « ce film gêne ceux qui sont au pouvoir dans des postes qu'ils ont acquis par des crimes, par la prédation... ».

« Je suis heureux d'être à Lubumbashi » a déclaré Thierry Michel lors de l'une de cinq projections dans la capitale du Haut-Katanga, à l'Université de Lubumbashi, dans la ville où il a lancé son aventure congolaise en 1991. Son documentaire a aussi été visionné à Goma, dans l'est, à Kinshasa et dans le Kasaï. Pour lui, chaque projection « est une victoire » contre des « personnes qui ont une certaine puissance ».

Iragi Elisha