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PROSPER - Oza stylé

Le Pacte

Justice aux sapeurs

Le monde de la sapologie fait encore l'objet de trop de clichés et d'approximations. Fort injustement, il paraît un peu sous-représenté au cinéma.

Or, c'est la très bonne idée de Yohann Gloaguen - de construire tout un film autour. Longtemps assistant réalisateur de Wong Kar Wai et David Lynch, Gloaguen a enfin franchi le pas pour réaliser son premier long-métrage.

Comme il le dit en interview, il ne voulait en aucun cas que le film soit "folklorique", et s'est donc beaucoup documenté et a fait une longue immersion dans le milieu de la sape.

L'objectif a clairement été atteint, puisque la sape n'est jamais réduite à un prétexte ou un simple décorum. Prosper aborde le sujet avec profondeur et rappelle que la sape est avant tout une philosophie de vie, un rapport au monde et une estime de soi. Ce n'est pas juste une excentricité qui prête à rire ; c'est un moyen de résistance et une manière de se valoriser et de se célébrer. Cela se matérialise concrètement à travers la figure de King et l'évolution du personnage de Prosper, un livreur Uber Eats qui ne prend pas sa vie en main et que son entourage a l'habitude de rabaisser. Les vêtements en disent long ici sur les personnages, la manière dont ils se perçoivent ou veulent être perçus.

L'on ressent d'ailleurs en regardant le film qu'il a été préparé méticuleusement. Le scénario a été écrit à plusieurs mains - celles de Thierry Lounas et de Dominique Baumard, auxquelles il faut ajouter celles de Léo Noël, ayant aidé celles de Yohann Gloaguen, et cela se voit. Il se révèle en effet particulièrement inventif et équilibré ; et d'une originalité assez ébouriffante. Les scénaristes ont réussi à mélanger les genres d'une manière aussi astucieuse qu'inattendue - entre comédie, thriller, fantastique et documentaire sur le milieu de la sape -, puisque le film respire l'authenticité. La bande-annonce n'en donne qu'un aperçu très partiel, et c'est d'ailleurs pour cela qu'elle est concluante, puisqu'elle ne divulgue pas le film tout entier et laisse découvrir au spectateur des secrets majeurs durant la projection.

Il faut donc relever que Prosper - auquel il aurait fallu réserver un accueil encore plus chaleureux - relève avec brio un triple défi : filmer la sapologie de manière digne et intéressante ; proposer un suspense plutôt haletant ; et offrir aussi une comédie particulièrement hilarante simultanément. Le truculent Jean-Pascal Zadi n'y est bien sûr pas étranger, mais il faut souligner qu'il dévoile ici une autre facette de son jeu ; et s'avère particulièrement bien dirigé. Il s'est inféodé au sujet et ne cabotine pas, mais n'hésite pas à improviser, lorsqu'on lui en donne la latitude. Mention spéciale pour la scène dans laquelle il se montre particulièrement peiné de ne pas avoir pu se rendre au salon du barbecue pour lequel il avait fait l'acquisition de places relativement onéreuses.

Cindy Bruna a quant à elle une prestance folle. C'est une authentique révélation. Magnétique, intrigante, et profonde, elle apporte une incroyable aura. Elle s'était jusque-là fait connaître comme mannequin, mais elle fait avec ce film une fracassante entrée dans le monde du cinéma.

Les seconds rôles, enfin, sont aussi au diapason - on peut notamment retenir Mamadou Minté, que l'on avait déjà pu apprécier dans Le Marchand de sable de Steve Achiepo sur les marchands de sommeil à Paris. Jean-Claude Muaka convainc également, et provoque le rire lors de ses différentes apparitions dans le rôle de Trésor, un homme de main d'Alpha croyant au mysticisme. Cependant, c'est sans doute Denis Mpunga, grand acteur et metteur en scène de théâtre, qui tire tout particulièrement son épingle du jeu, dans le rôle du propriétaire d'une boutique dévolue aux sapeurs et à la sape. C'est lui prononce la meilleure réplique du film "Oza stylé" d'un air très convaincu, en complimentant un Prosper s'étant glissé dans la peau de King.

Prosper a d'ailleurs le mérite de rendre justice au lingala, cette langue si belle, poétique et mélodieuse dans laquelle s'expriment plusieurs des personnages du film, et qui octroie aussi une musicalité toute particulière et assez caressante au long-métrage. C'est véritablement un film qui peut donner envie d'apprendre le lingala et grâce auquel on peut tomber amoureux/se de cette langue ; ce qui constitue déjà une franche réussite.

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Hommage au photographe du film Thomas Brémond

ll faut également rendre hommage à la photographie que l'on doit à Thomas Brémond, qui, par ses choix visuels et sa caméra Arri Alexa LF, arrive vraiment à magnifier les vêtements portés, et à mettre en valeur les visages.

Pour la petite histoire, il a aussi assuré l'image de Tout simplement noir avec déjà Jean-Pascal Zadi. Il s'est ici entre autres inspiré de l'image de Darius Khondji pour Uncut Gems des frères Safdie, comme il le confie aussi dans cet article très instructif sur ses influences et ses intentions.

L'on se rend bien compte également des teintes grises utilisées pour rendre compte du quotidien un peu terne de Prosper ; et des teintes beaucoup plus colorées lorsqu'il s'agit de mettre en scène les sapeurs. Brémond leur offre ici un fort bel écrin, dans lequel ils peuvent briller de mille feux. Le film s'avère en effet particulièrement beau, et esthétiquement soigné, - une manière de montrer qu'on peut être ambitieux visuellement dans une comédie.

Matthias Turcaud

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