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« A l’Opéra de Paris, il n’y a pas de danseur noir, et nous sommes en 2014 ! » Pierre Ndoumbé, chorégraphe

Rencontre avec Pier Ndoumbé, danseur et chorégraphe, et Franck Dribault, chanteur de classique, compositeur et acteur, tous deux fondateurs du Festival Nio Far.

L’association La Tribu organise du 22 au 29 novembre le Festival Nio Far ("On est ensemble" en wolof), un festival qui se veut outil de réflexion et de savoirs sur les questions de citoyenneté, d’immigration et d’intégration en France mais qui met surtout en lumière les histoires coloniales communes entre la France et ses anciennes colonies.

Comment est née l’idée du Festival Nio Far ?

Pier Ndoumbé : En fait, à l’origine, il y a tout un cheminement par rapport à nos parcours personnels je pense... Moi par exemple, je suis d’origine camerounaise, mes parents sont venus du Cameroun en France pour étudier puis sont repartis au pays.

Pierre-Ndoumbe-portrait

Concernant l’histoire coloniale, j’ai grandi dans une éducation du « non-dit ». Je suppose que mon grand-père du côté paternel était dans la Résistance… Et que mon arrière-grand-père du côté maternel devait être négrier… Mais tout ça ce sont des « non-dits ». On n’en parlait pas à la maison.

Autre élément, en tant qu’artiste noir, j’ai eu mon expérience des rapports professionnels et du racisme dans le milieu artistique. En tant que danseur par exemple, on observe des faits : à l’Opéra de Paris, il n’y a pas de danseur noir, et nous sommes en 2014 !

Constatant cela, je suis parti à New York pour pouvoir faire de la danse classique. Les barrières sont telles en France que les danseurs noirs finissent eux-mêmes par se dire que la danse classique n’est pas faite pour eux. Résultat : on voir des danseurs noirs dans le hip-hop, la danse africaine, mais rarement dans la danse classique.

 

Pier Ndoumbé, danseur et chorégraphe.

Vous savez, avec Franck nous avons créé au début de notre collaboration de petits opéras classiques mais les institutions ne nous suivaient pas car un noir qui fait du classique, ça sort du moule… Et personne ne venait voir nos créations, car ce n’était pas assez « traditionnel », « ethnique », termes utilisés pour déterminer ce qu’un Noir se devait de faire.

Bref, au final on se rend compte que la France et ses institutions ignorent totalement les Français noirs, jaunes, maghrébins… D’où la création de ce festival dont l’idée est bien de faire de l’espace à ces « Indigènes de la République », et surtout faire place à leur histoire.

Comment expliquez-vous cette marginalisation des Noirs en France ?

Pier Ndoumbé : Vous savez, nous invitons Ken Bugul à participer à notre Festival. C’est une auteure sénégalaise particulièrement brillante, éditée dans de grandes universités américaines.

Or, en France, rien ! On ne la connaît pas. Pourquoi ? Parce qu’en France, les institutions sont restées très blanches… On parle de l’Opéra de Paris, de la Comédie française, du Parlement… Que des Blancs. Ne doit-on pas mettre des quotas pour que tout le monde ait sa place ? C’est une vraie question pour moi, qui ai vécu dans des pays anglo-saxons où on pratique la politique du quota…

On comprend bien l’idée première du festival de se saisir de l’histoire commune de la France et de ses anciennes colonies, qui va de la Traite négrière à la colonisation, et de faire connaître cette histoire commune aux Français et aux anciens peuples colonisés. Raison pour laquelle vous avez organisé votre premier Festival à Paris et à Dakar en novembre 2013 et avril 2014…

Pier Ndoumbé : Oui, car cette histoire est mal connue des deux côtés finalement…

Franck-Dribault-portraitFranck Dribault : Oui, quand on est intervenu dans des lycées à Dakar, au lycée Mermoz notamment, on a été surpris de voir que les élèves ignoraient presque qu’il y avait eu des députés et hommes politiques noirs dès les années 1920 en France. Des hommes qui allaient devenir des personnalités politiques sénégalaises…

Pier Ndoumbé : Oui, c’est pour cela que le Festival Nio Far est itinérant en fait. Il va toucher les publics qui sont concernés par ces histoires. Pour ses deux premières éditions, il se déroule en France et au Sénégal ; pour la prochaine édition, ce sera la France et le Maroc, puis l’année suivante, la France métropolitaine et les Antilles, l’idée étant de questionner à chaque fois les histoires communes coloniales de ces territoires, des histoires qui sont finalement spécifiques à chaque territoire…

Vous entretenez un lien particulier avec le Sénégal où vous créerez une Maison des artistes à Mboro…

 
Franck Dribault, co-fondateur du festival Nio Far.

Pierre Ndoumbé : Notre association La Tribu travaille depuis longtemps avec le Sénégal, où on nous dit que l’art finalement est loin d’être une priorité quand on amène des projets artistiques. Les constructions de puits, les constructions de routes sont beaucoup plus nécessaires, nous dit-on.

Pour nous, il était évident d’avoir une assise sur le continent pour ce festival car quand on écoute nos hommes politiques, que ce soit le Discours de Dakar de Sarkozy, ou encore nos médias français, l’Afrique n’est qu’un continent de désolation, de maladies, de guerres… Et en attendant personne ne parle du Code Noir ! Bref, l’idée est de venir à bout du racisme institutionnel, partout.

Le Temps fort du Festival Nio Far à conseiller à nos lecteurs ?

Pierre Ndoumbé : Tous les jours.

Franck Dribault : La soirée du 24 novembre avec Ken Bugul !

KEN BUGUL

Soirée exceptionnelle avec Ken Bugul le 24 novembre à l'occasion du Festival Nio Far !

ZOOM

Des histoires occultées qu’il faut réhabiliter

Pierre Ndoumbé : Il y a des questions occultées par une histoire officielle, alors qu’il y a eu des histoires de résistance sur tous les territoires esclavagisés et colonisés… Que ce soit les neg-marrons aux Antilles, Lumumba au Congo, des histoires totalement inconnues par le commun des gens.

Cela fait preuve d’une ignorance totale de la façon dont les choses se sont articulées dans la réalité… Mais cela, personne n’en parle ! C’est tout un système en fait qui cautionne le non-dit et l’histoire officielle.

Ce n’est peut-être plus un système raciste aujourd’hui, mais nous vivons toujours dans un système oppressif : le système capitaliste, qui est oppressif par essence. Il est la continuité des régimes racistes, et esclavagistes. D’où la nécessité de trouver d’autres régimes, plus respectueux de l’être humain…

Franck Dribault : C'est la raison pour laquelle nous projetons au sein du Festival des films sur Pierre Rabhi. Il nous faut des solutions à l’accaparement des terres, à l’exploitation des gens, au manque d’énergie qui nous guette… Il faut revoir les façons dont on consomme, refonder notre société de consommation !

Lola Simonet