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Sembène Ousmane féministe

Les personnages féminins de Sembène symbolisent la nouvelle Afrique.

Que peut-on trouver dans les œuvres de Sembène Ousmane qui nous parle d’un réel encore présent ?

Un monde, tout simplement, un monde peuplé d’hommes et de femmes si réels qu’ils nous surprennent encore.

Dès son premier personnage dans Le Docker noir écrit en 1956 jusqu’à sa dernière héroïne dans Moolaadé en 2004, les personnages de Sembène frappent par leur modernité.

Les femmes sont « féministes » et les hommes sentent le sol trembler sous leurs pieds.

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Tout au long de sa carrière, Sembène créera une multitude de personnages féminins dont la diversité impose peu à peu, non plus une image unique de la femme africaine mais des figures variées et réelles, aux prises avec la complexité quotidienne et les contradictions de leur existence.

La femme africaine n’est pas pour Sembène Ousmane, la femme-muse si précieuse, si idéale et si chère aux auteurs de la négritude mais des femmes non-parfaites, aux physiques, aux désirs, aux rêves et aux combats bien réels et personnels.

De nombreuses images de femmes se superposent dans ses œuvres mais elles possèdent toute une caractéristique particulière, celle de l’action, quelle que soit leur situation.

Ses multiples héroïnes, Diouana, Penda, Tioumbé, Noumbé, Nafi ne sont plus des icônes silencieuses. Chacune d’elle incarne un pouvoir libérateur qui symbolise la nouvelle Afrique.

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L'actrice Fatoumata Coulibaly dirigée par Sembène Ousmane sur le tournage du film Mooladé.

Le courage, la vitalité, l’audace, l’action et la prise de paroles des femmes dans les œuvres de Sembène préfigurent les voix féminines et féministes qui émergeront dans la littérature africaine à partir des années quatre-vingt-dix.

Sous les plumes d’Aoua Keïta, Awa Thiam ou Agnès Diarra, leurs paroles devenues écrits, réclament leur libération :

Longtemps les Négresses se sont tues. N’est-il pas temps qu’elles (re)découvrent leur voix, qu’elles prennent ou reprennent la parole.

Et même si leurs pires ennemis furent les femmes elles-mêmes, gardiennes de certaines traditions, ces pionnières tinrent bon. Elles porteront la rébellion au cœur même de cette société comme l’avait déjà initié Sembène.

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Alors que sa première héroïne dans La Noire de... ne peut communiquer et se retrouve prisonnière de son incapacité à prendre la parole, toutes ses héroïnes à venir, s’attaqueront à ce qui les brime : le silence.

A considérer les personnages féminins dans leur ensemble : de la désaliénation de Diouana qui la conduit à la mort, aux luttes menées sur tous les fronts de la société africaine par ses futures héroïnes, que de chemin parcouru !

Sa dernière œuvre néanmoins, à la fois optimiste et grave, sonne comme une alerte terrifiante de justesse et d’anticipation sur les événements mondiaux du XXIe siècle. Les femmes gagnent certes une victoire mais leurs combats ne font que commencer.

Leurs radios que les hommes brûlent pour les maintenir dans l’ignorance et les couper de toute communication avec le monde extérieur s’imposent aujourd’hui comme une image prémonitoire. Le silence n’est-il pas aujourd’hui encore un mur à briser ?

ZOOM

Les femmes de Sembène, à la fois dominées et dominatrices, crèvent l’écran

Dans les films de Sembène, les femmes sont différentes, belles, dignes et combattantes, elles résistent, se révoltent et passent à l’action de manière flamboyante.

Dans La Noire de… c’est l’apparition de la femme noire au cinéma qui n’accepte pas d’être mal traitée.

Dans Le Mandat, tandis qu’il dénonce leur servitude, Sembène magnifie leur beauté et dignité.

Dans Xala, les trois épouses traditionnelles s’effacent devant la nouvelle génération qui, grâce au pouvoir libérateur de l’éducation affronte le système patriarcal.

Dans Emitaï, Ceddo, films historiques, les femmes s’affirment comme les initiatrices de la libération. Elles agissent et défient la passivité des hommes. Sans réelle conscience politique, elles s’engagent dans le combat de l’avenir.

Dans Moolaadé, Colle Ardo, la belle, courageuse et dernière héroïne de Sembène, gagne son combat. Contre les insultes, les menaces et les coups de fouet de son mari, elle saura utiliser une tradition contre une autre pour libérer les femmes d’une pratique ancestrale dangereuse et asservissante.

Alors que sa première héroïne Diouana clôt son combat sur un refus tragique celui de son suicide, Colle Ardo savoure sa victoire en la chantant, debout et fière entourée des femmes du village.

Valérie Berty