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Nora Chipaumire : « PENSER EN MOUVEMENT »

Chorégraphe et danseuse zimbabwéenne en constante recherche, Nora Chipaumire est aussi en constant mouvement.

On rencontre Nora Chipaumire entre deux avions, entre Harare et New-York, précisément à N’Djaména, où elle a posé ses valises pour présenter à l’IFT un travail en cours.

Pouvez-vous vous présenter en quelques mots ?

Nora Chipaumire : Je suis née et j’ai grandi au Zimbabwe. Je vis maintenant à New-York, dans le quartier de Brooklyn. Je fais du « live art ». Un art constitué de tout ce qui est vivant. Le corps s’y meut, parfois ce n’est pas ce que les gens appellent de la « danse », mais c’est de l’art.

Je fais aussi des films. Je suis intéressée par les projets qui préservent l’histoire. Ce n’est pas toujours perçu comme de la danse, mais les corps y véhiculent une histoire, un savoir, une réflexion.

Quand l’idée vous est-elle venue de vous lancer dans cette forme d’art ?

Nora Chipaumire : L’idée est venue tôt, mais n’a pas été réalisée assez précocement. Je pense que j’ai toujours été une entité physique, un corps dynamique s’exprimant au choix par le sport ou par ce qu’on appelle de « la danse », plus que quelqu’un de sédentaire. Je fais la distinction entre les gens qui pensent assis et ceux qui pensent en mouvement.

J’avais 23 ans, j’étais diplômée de l’université au Zimbabwe, émancipée de ma famille et c’est là que c’est devenu clair pour moi, que j’ai pu prendre des décisions qui affecteraient mon futur.

An Introduction to Nora Chipaumire from Peak Performances on Vimeo.

Quelqu’un vous a-t-il montré le chemin à suivre ?

Nora Chipaumire : Non, c’est une découverte en continu. Je suis autodidacte, je m’intéresse à l’auto-apprentissage et l’auto-enseignement. J’avais différentes aptitudes. J’ai eu des professeurs, des gens m’inspirent mais pas une personne en particulier.

Que pouvez-vous exprimer avec votre corps que vous ne pouvez pas exprimer avec des mots ?

Nora Chipaumire : Tout. Le langage est très restreint et circonscrit. L’expression dans une langue et la compréhension de celle-ci dépend de la connaissance que vous en avez. Pour nous en Afrique l’anglais et le français sont d’ailleurs encore plus limités, comme ce ne sont pas nos langues maternelles. Le corps comprend plus de choses, est d’après moi plus intelligent.

Vous êtes professeure à l’école des sables à Dakar au Sénégal ?

Nora Chipaumire : Ce n’est pas une école à plein temps, mais elle fonctionne par ateliers et par sessions. J’y interviens depuis dix ans par intermittence, mais on peut se demander ce que veut au fait dire « enseigner ». Je partage des informations – ce que j’aime faire – et je me trouve devant des gens à donner des indications, mais est-ce cela « enseigner » ?

Quels sont vos thèmes de prédilection ?

Nora Chipaumire : Le corps noir est mon intérêt prioritaire : son histoire, ses connaissances, sa philosophie ; entre colo- et décolonisation. Le mariage de la politique et de l’esthétique est excitant !


Pouvez-vous nous parler du spectacle que vous allez présenter à l’IFT ?

Nora Chipaumire : C’est un extrait de la troisième partie appelée « Star Nigga » d’un triptyque ayant pour titre « Hashtag Punk 100 % Pop Star Nigga ». C’est une investigation sur des valeurs. Quelle est la valeur des produits qui sont le fruit de votre imagination ? Je m’y interroge sur le concept de « Nigga » et j’y fais un effort pour comprendre les réflexions de Karl Marx sur le travail. Nous vivons dans un monde qui est encore très raciste, divisé en classes en fonction de la couleur de peau.

Le « Nigga » produit de la valeur, mais il ne s’en rend pas compte. Peut-être chaque « Nigga » est-il en fait une star et chaque star un « Nigga » ! Je présente juste un extrait, seulement avec Aleva, le reste de l’équipe n’est pas là.

Comment travaillez-vous sur le son ?

Nora Chipaumire : Je m’intéresse beaucoup au concept de « Black Noise » : des sons trouvés et générés par des paysages urbains où l’art surgit de manière insoupçonnée. Les Africains se parlent souvent fort, j’aime me consacrer aux fréquences à travers lesquelles ils communiquent, qu’elles soient articulées ou inarticulées.

Là, dans le spectacle, les sons enregistrés se mêlent à du texte parlé. Le guitariste d’un groupe punk à New York et deux dj dont l’un travaille au Cap nous accompagnent. J’y « chante » aussi, dirais-je faute d’un autre mot. Les sons me passionnent : c’est pour moi un bras ou une jambe, un membre de mon corps.

Le silence aussi vous intéresse ?

Nora Chipaumire : Pour entendre un son il faut comprendre le silence. C’est la même chose.

Qu’est-ce que l’art selon vous ?

Nora Chipaumire : Tout ce qui vous fait penser. Les conversations sont des formes d’art, les constructions peuvent l’être… - certaines ne le sont pas. Votre enregistreur est conçu de manière artistique.

La question du genre vous intéresse aussi en particulier ?

Nora Chipaumire : En tant qu’idée politique oui, mais non sexuelle. Chaque corps peut figurer le féminin ou le masculin. En tant qu’artiste corporelle, je peux incarner le corps d’un homme, d’une femme, d’un animal aussi. C’est là le pouvoir d’un corps.

Etes-vous en rapport avec des artistes zimbabwéens ?

Nora Chipaumire : Je viens présentement du Zimbabwe. Ma famille s’y trouve, j’ai donc une relation permanente au pays. J’ai un projet en rapport avec la culture zimbabwéenne.

ZOOM

Nora Chipaumire et les autres disciplines artistiques

Pouvez-vous nous parler de vos autres formes d’expression artistique ? Vous faites des films. Faites-vous également de la photo ?

Nora Chipaumire : Je ne photographie pas, mais je travaille beaucoup avec des photographes et leur propose mon corps comme objet de leurs photos.

Les films et la danse se rejoignent. C’est aussi un art qui repose sur le temps, mais cela va plus vite, c’est pratique. Je pense que les films sont des médiums vecteurs d’idées très attrayants. Ils traversent les frontières aisément, sans visa.

En ce qui concerne ma pratique filmique, j’aime faire de la caméra non un objet mais un sujet, je me dédie à des propositions expérimentales.

Propos recueillis par Matthias Turcaud