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L’Afrique ancienne, de l’Acacus au Zimbabwe, 20 000 avant notre ère - XVIIe siècle

Belin Editeur

Vous n’auriez jamais imaginé que l’histoire de l’Afrique ressemble à ce qui est décrit ici. Et pourtant, vous seriez comme tout le monde, avec en tête une histoire linéaire et conventionnelle comme celle que nous connaissons en Europe.

Dès le premier contact avec L’Afrique ancienne, de l’Acacus au Zimbabwe, on se doute que l’on a à faire à une œuvre complète, unique.

Son poids, sa densité, tout indique qu’il est à la hauteur de l’enjeu : présenter, en 670 pages, un état de l’art de l’histoire africaine - ou mieux, précision indispensable de l’auteur - des histoires des continents africains. Sous la direction de François-Xavier Fauvelle - directeur de recherche au CNRS - 24 spécialistes ont contribué à créer ici une somme vraiment unique et exceptionnelle.

Entretien avec François-Xavier Fauvelle sur France Culture dans le cadre de l’émission Carbone 14.

La richesse de cette « Afrique Ancienne » est telle que l’on se trouve rapidement confronté à l’extrême diversité des civilisations africaines qui se sont côtoyées. C’est ce qui marque le lecteur en tout premier lieu.

Royaumes-Congo-Luba

Des chasseurs-cueilleurs proches de la préhistoire pouvaient cohabiter au même moment avec des populations qui, elles, vivaient dans ce qui pourrait être l’équivalent de notre Moyen Âge. Ces sociétés africaines de nature très différentes pouvaient cependant communiquer, échanger et s’interpénétrer.

Ces faits empêchent - et c’est très important - d’avoir ici une conception linéaire de l’histoire qui alors vole rapidement en éclat. C’est clair : la diversité est la règle.

Cette diversité transparaît au travers de textes denses toujours accompagnés d’une iconographie riche et abondante et qui donnent envie de feuilleter, de parcourir les siècles et les continents africains en s’imprégnant de leurs grandes variétés.

De A (comme Acacus !) à Z (comme Zimbabwe, bien sûr !), cet ouvrage est le fruit de méthodes modernes qui permettent de nous faire découvrir les mouvements et les déplacements qui furent à l’origine de l’Afrique contemporaine.

ecriture-et-histoire

Vous pouvez alors voyager, en parcourant l’ouvrage, à travers les siècles et les civilisations et vivre ainsi les grands moments de ce continent.

Le principe historique est de faire de chaque trace, un document et un témoignage : poteries, parures, événements climatiques, évolution des langues, des flux commerciaux, économies des échanges… permettent alors d’appréhender ses diversités et ses richesses. Pour citer l’auteur : « l’histoire de l’Afrique est en somme celle de plusieurs continents, animés de trajectoires indépendantes, qui quelquefois convergent, s’arriment ou s’entrechoquent. »

Chacun de ces « continents » a ses propres moments d’histoire. De l’Égypte antique en passant par les royaumes de Kerma, Napata et Méroé, de Carthage à Aksum, de l’Afrique mulsumane au monde swahili, des grands royaumes sahéliens (ceux du Ghana et du Mali) aux cités haoussa en passant par la Nubie et l’Éthiopie, les royaumes du golfe de Guinée et ceux du Kongo et de Luna… les événements sont riches et ne se recoupent pas forcément, mais constituent les grandes fresques de l’histoire du continent africain.

Premieres-societes-de-production

Si pour l’historien (très !) classique l’histoire n’existe qu’avec l’écriture, le grand mérite de cet ouvrage est de faire flèche historique de toute trace permettant de mettre en évidence l’histoire d’une population, d’une époque ou d’une région.

Cette démarche est à l’image de celle de Théodore Monod qui fit un voyage — en décembre 1964 — d’une trentaine de jours au plus profond du cœur du Sahara pour analyser et documenter une « épave caravanière » du XIe/XIIIe siècle et que nul n’a revisitée depuis.

Elle est aussi le fruit de techniques de pointe très sophistiquées qui ouvrent de nouveaux horizons. Vous en avez ci-dessous dans le Zoom, un exemple de ce que permet d’obtenir la linguistique en histoire.

Histoire africaine et écrits

Cela ne veut pas dire pour autant qu’il n’y avait pas d’écritures. En fait, elles ne manquèrent pas.

L’Afrique ancienne, de l’Acacus au Zimbabwe nous apprend que dans le monde antique outre l’égyptien, il y a l’écriture « méroïtique », le « tifinagh », l’écriture « alpha-syllabique éthiopienne » qui évolua en langue guèze. En fait, on distingue trois grands ensembles : le monde sahélien islamisé et utilisant l’écriture arabe, la Corne de l’Afrique qui utilise le guèze et la côte swahili avec, elle aussi, l’écriture arabe. Cette dernière servira aussi parfois à transcrire les langues locales. Le christianisme, lui, à l’inverse de l’Islam qui impose l’arabe du Coran, a traduit la Bible en différentes langues afin de mieux la diffuser.


Comme l’on peut s’en douter, l’essentiel des textes concerne la littérature religieuse, mais il existe aussi quelques récits historiques référencés, rédigés en arabe ou en guèze, qui apportent de précieux renseignements et que l’on découvre avec étonnement.

Pour qui aime l’Afrique, cet ouvrage est indispensable pour mieux la comprendre. Il permet aux « continents africains » d’apparaître alors dans leurs diversités et leurs complexités. On n’en finit pas de les parcourir en découvrant des facettes passionnantes que l’on ne soupçonnait pas.

La richesse de cette « Afrique ancienne » se révèle à chaque page tant par la qualité des auteurs et du contenu de leurs textes que par une iconographie abondante et éclairante : il est un état de l’art vraiment indispensable et passionnant.

ZOOM

Les doigts dans la linguistique !

Comment reconstruire l’histoire depuis 12 000 ans ?

carte-des-langues-africainesCette question est le titre du chapitre sur les méthodes qui ont été utilisées pour mieux comprendre et déterminer les grands mouvements de l’histoire africaine.

La linguistique joue ici un rôle essentiel en mettant en évidence les évolutions et les mouvements des populations tout en donnant un bon exemple des techniques historiques utilisées par les auteurs de l’ouvrage.

Une précision technique s’impose ici : les langues se classent par famille quand on est capable de reconstituer la langue mère commune et ensuite par super-famille ou « phyla ». L’Afrique ancienne, de l’Acacus au Zimbabwe nous apprend que « Les langues africaines (aux alentours de 2139 langues parlées) sont classiquement divisées en quatre phyla continentaux : Niger-Congo, Niro-saharien, afro-asiatique, Khoisan. S’y ajoute l’Austronésien pour Madagascar. »

En utilisant les méthodes de reconstruction linguistique, il est possible alors de représenter les flux démographiques.

Cette carte des langues africaines - tirée de l’ouvrage - illustre parfaitement le degré de précision que ces techniques offrent en permettant de visualiser les différents mouvements des familles de populations.

Cette carte représente les phylums, en excluant les langues d’origine européennes.

Jean-Pierre Lecocq