Théâtre / guinée

NABY MOISE BANGOURA, un assoiffé de théâtre

Compagnie Acétés

Changer l'image des comédiens en Guinée

Naby Moïse Bangoura, que nous avions beaucoup apprécié dans "Traque" en novembre dernier, a accepté de revenir pour nous sur son parcours de comédien, sa carrière longue déjà de dix ans et le regard qu'il porte sur la scène théâtrale de son pays, la Guinée. Rencontre.

Comment le théâtre a-t-il fait son entrée dans votre vie ? 

Naby Moïse Bangoura : Par le canal de ma sœur, enfin ma cousine - en Afrique, sœur, cousine, c’est presque pareil (rires). Ma sœur aînée donc, malheureusement décédée, faisait partie de la première promotion de l’Institut des arts de Dubréka. A l’église déjà, elle encadrait un groupe dont j’étais membre, qui proposait des activités culturelles - du récital, des poèmes, des déclamations, et du théâtre.

On a commencé ensemble plutôt modestement, avant de rencontrer un autre aîné, son cousin à elle, Louis Lamah. Il travaillait pour une compagnie de théâtre qu’il avait contribué à créer à l’université Gamal Abdel Nassar. Il a été le premier à me faire jouer sur une scène professionnelle.

La passion de ma cousine Rufine était très contagieuse, cela m’a vraiment donné envie de continuer l’apprentissage à l’université. J’ai quand même choisi la médecine en premier choix d’orientation – car j’étudiais les sciences expérimentales, puis le théâtre. Heureusement que j’ai fait du théâtre, je n’étais pas très fort en sciences par rapport à d’autres !


Dans "Traque", écrit par Hakim Bah, et mis en scène par Cédric Brossard, représenté lors du festival "Univers des mots 2019" à Conakry

Qu’est-ce qui vous a séduit au théâtre en particulier ?

Naby Moïse Bangoura : Le théâtre s’associe pour moi avant tout à la liberté, quelque chose que j’ai toujours aimé dans ma vie. D’un autre côté, le risque – celui de se retrouver devant des gens et de leur présenter un travail sur lequel on a passé beaucoup de temps, le risque de rater… La combinaison liberté et risque me plaît assez !

Cette décision a-t-elle été difficile à accepter pour votre famille ?

Naby Moïse Bangoura : Il y a eu différentes réactions. Mon père savait que c’est vraiment important pour un enfant de s’exprimer devant des gens. Il trouvait aussi que le théâtre permet de travailler beaucoup de facultés utiles, comme la diction, la rétention. En plus mon père était un ancien cadre de la fonction publique, il m’a toujours conseillé de choisir un métier libéral – pour dépendre de moi-même, et ne pas attendre une décision du président ou du gouvernement.

Ma mère, elle, s’inquiétait. Elle me disait : « Mon fils, toi tu vas à l’université pour apprendre à danser devant des gens ? » Elle ne connaissait pas le monde du théâtre, et, pour la population guinéenne en général, cela se résume à des saltimbanques et des cabotins essayant sans cesse de faire rire. J’ai essayé de lui expliquer ensuite, en lui montrant des images de mes créations et, au fur et à mesure, elle a compris.

Ma tante, la mère de Rufine, a elle compris très vite ; et il y a rapidement eu de bons retours de la part de mes proches qui sont venus voir mes spectacles.


"Coeur Minéral", écrit par Martin Bellemare et mis en scène par Jérôme Richer, également représenté aux Francophonies de Limoges, au Théâtre Pitoëff à Genève, lors du festival "Univers des mots 2019" à Conakry, puis au théâtre l'Usine C à Montréal.

Parmi tous tes spectacles, lesquels vous ont-ils marqué en particulier ?

Naby Moïse Bangoura : Tous mes spectacles m’ont marqué. Chaque représentation même ! Avant chacune, on a peur, on tremble, on a le trac, et, si on me proposait un autre travail dans ces moments-là, je crois bien que je pourrais succomber (rires) ! L’amour et l’envie du théâtre restent cependant toujours là.

Un des spectacles qui m’a le plus marqué a été un des tout premiers, autour de la Corah, et mis en scène par Djéssira Ansoumane Condé. Ca m’a marqué, surtout la durée des répétitions, et le fait que Djéssira Condé puisse changer sa mise en scène d’un jour à l’autre – mais il a vraiment su nous donner confiance, en nous disant que c’était notre spectacle et qu’on en faisait ce qu’on voulait. Le public a finalement beaucoup apprécié ce qu’on a proposé.

Plus récemment, la création « Cœur minéral », mise en scène par le suisse Jérôme Richer, m’a beaucoup marqué. Les comédiens et l’équipe technique viennent de Guinée, de Suisse et de France – un joli mélange !

La création de « L’Enfant noir » par Souleymane Thiâ’nguel Bah a aussi été très spéciale. Elle a plu à un grand nombre de personnes, mais elle a aussi choqué certains parents de Camara Laye. Cela a créé quelques secousses et a empêché une tournée, car il y avait des menaces...

J’ai pu aussi jouer dans un spectacle inspiré de textes de Gripari – mélange de comédiens et de circassiens -, intitulé « Grippe à rire » et mis en scène par Ibrahima Sory Tounkara. Avec ce metteur en scène qui nous laisse beaucoup de liberté, nous avons présenté « 1758, l’île Saint-Louis de Dakar » en Tunisie ; ainsi que les spectacles « Police de proximité » et « Trippa-No », une sensibilisation vis-à-vis de la maladie du sommeil.

J’ai aussi participé à une création autour de « Beaucoup de bruit pour rien » de Shakespeare. Il s’agissait d’un concert impromptu avec un groupe de musiciens français, mis en scène par Daniel Couriol. A Ouagadougou, aux Recréâtrales, j’ai assisté Bilia Bah à la mise en scène : une expérience également très riche et différente.

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Tous les registres vous intéressent-ils ?

Naby Moïse Bangoura : Je ne ferme aucune porte. Je suis du genre à toujours essayer, tenter. Chaque fois que je fais une création, j’apprends – que ce soit avec un enfant, ou un acteur professionnel.

« Cœur Minéral » m’a plus mobilisé encore que « Beaucoup de bruit pour rien », comme le spectacle parlait de la Guinée, de l’extraction minière et de la manière dont la population est traitée. Mon âme parlait plus dans « Cœur Minéral », mais je reste ouvert. Même si c’est un spectacle en chinois, j’aimerais bien participer et apprendre (rires). Je sais que je n’ai pas fait un centième de toutes les différentes écoles de théâtre !

Quel regard portez-vous sur le spectacle vivant en Guinée aujourd’hui ?

Naby Moïse Bangoura : C’est un monde très malade, à cause de la place accordée à la culture en Guinée. Au temps du premier régime de Sékou Touré, le théâtre et les arts avaient une certaine place, même s’il s’agissait surtout de chanter les louanges de la révolution. Cela a quand même aidé la Guinée d’une certaine manière. Les ballets africains ont ainsi pu jouir d’un certain rayonnement.

Ensuite, quand les militaires sont arrivés, ils ont dit « On a trop chanté, on a trop dansé, maintenant il faut travailler ». Pour eux, c’était de l’amusement, et l’ère du libéralisme sauvage a commencé. La qualité des spectacles a baissé. Pour beaucoup, le théâtre se résumait au burlesque, aux saltimbanques qui improvisaient sans texte.

Finalement, ce nouveau régime s’est aussi rendu compte que les artistes pouvaient servir leurs intérêts, mais beaucoup vivaient encore dans la mendicité. Après, l’Institut des arts de Guinée a été créé, pour donner une bonne image. Cependant, jusqu’à aujourd’hui, quand je dis à quelqu’un que je suis comédien, il pense souvent que je suis un comique. Il faut vraiment que je lui montre des images de création pour qu’il se rende compte du travail réalisé.

Cela me rappelle d’ailleurs quand on a joué le spectacle de sensibilisation « Police de proximité » devant des policiers, certains d’entre eux étaient étonnés qu’on ait étudié à l’université. Pour beaucoup de gens en Guinée, « comédien » se résume à quelqu’un qui fait rire avec un gros ventre. Ils ne savent pas ce qu’est le théâtre en réalité.

Le nombre de comédiens professionnels en Guinée pose aussi problème. Ceux qui peuvent vraiment monter sur scène et interpréter plusieurs rôles ne sont pas nombreux. Il faut dire aussi qu’il s’agit d’un monde peu médiatisé. J’espère que la situation va s’améliorer avec le temps.

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Vous avez quand même de l’espoir ? Vous avez des retours positifs ?

Naby Moïse Bangoura : Oui, souvent après, il y a du respect et de l’admiration. Cela donne aussi le courage à certains de laisser leurs enfants faire du théâtre. Les festivals qu’on organise contribuent heureusement à changer les mentalités, doucement mais sûrement. Certains jeunes viennent aussi apprendre les métiers autour du théâtre – qu’il s’agisse de l’écriture ou de la scénographie. Grâce notamment au festival « Univers des mots », certains jeunes viennent de manière très décidée en disant qu’ils ont envie de faire du théâtre et de l’art.

Cela fait-il aussi partie de vos projets de former les comédiens guinéens de demain ?

Naby Moïse Bangoura : J’ai des petits frères à l’Institut. J’avais même commencé à donner des cours à l’Institut. J’ai dû maintenant arrêter à cause de la distance, mais cela fait partie de mes projets d’ouvrir un espace de création qui doit pouvoir aussi attirer les enfants. J’aimerais choisir des endroits où le théâtre n’est pas connu, et travailler avec des enfants, montrer aux populations de ces zones que le théâtre est quelque chose de sérieux et qu’il peut changer des vies.

Je travaille déjà avec certains jeunes, et prodigue volontiers des conseils à ceux qui ont un projet clair. Même ceux qui n’ont pas des moyens mais veulent vraiment travailler, je viens les aider avec plaisir si je peux.

Préfèrez-vous un metteur en scène très directif ou quelqu'un qui vous laisse beaucoup de latitude ?

Naby Moïse Bangoura : Je trouve cela bon que la technique d’un metteur en scène varie, comme pour un comédien. Je n’ai pas de préférence en particulier, dans l’idéal quand même « une liberté organisée ». Jérôme Richer, sur « Cœur minéral », m’a marqué en particulier. Il n’a pas hésité à se remettre complètement en question.

Pourriez-vous envisager de mettre en scène ou d’écrire un jour des pièces ?

Naby Moïse Bangoura : Le monde de l’écriture me fait très peur, je l’avoue. Ceux qu’on a en Guinée sont très qualifiés. Quand on lit les textes d’un Hakim Bah, d’un Souleymane Thiâ’nguel ou d’un Bilia Bah, je me demande comment ils ont pu réussir à les écrire. Je griffonne tout de même des petites choses et j’avais même suivi un atelier d’écriture avec Bilia Bah qui me fut bénéfique ; mais je n’ai pas encore le courage d’entrer vraiment dans le monde des dramaturges.

En revanche, la mise en scène m’intéresse beaucoup plus, et j’ai déjà commencé. A Ouagadougou, j’ai travaillé sur l’espace multidimensionnel avec des Chinois, cela m’a interpellé ; et puis j’ai assisté Bilia Bah aux Recréâtrales, et Hakim Bah en Guinée. En Suisse, j’ai posé la question à Jérôme Richer pour lui demander ce que je pouvais avoir comme formation, et il m’a dit « Observe, et tu comprendras ». Il m’a dit que ça ressemble au métier de comédien, sauf qu’il faut s’occuper de plusieurs personnes à la fois.

Avec Sira Condé, j’ai eu l’occasion de mettre en scène un concert, et ce domaine me plaît également fortement. J’avais voulu rendre apparent un lien entre chaque chanson. La mise en scène m’intéresse au sens large – même, à l’occasion d’une exposition, créer une histoire entre des tableaux, pourquoi pas !

ZOOM

Un comédien très versatile

Jouez-vous souvent des personnages différents ?

Naby Moïse Bangoura : Oui, souvent. Pour la création en Tunisie, je jouais le rôle d’un bourgeois. Dans « Cœur Minéral », je joue un personnage de journaliste très engagé qui s’insurge contre l’exploitation de la bauxite ; dans « Traque », un « cow-boy » sans scrupules...

Dans « Grippe à rire », j’interprétais un personnage d’extra-terrestre. C’était fatigant mais ça m’a beaucoup plu. On a particulièrement apprécié une scène où on avait l’occasion de manger une très grande tablette de chocolat, on a fait durer cette scène (rires). Chaque personnage implique des recherches différentes.

Matthias Turcaud