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M'TORO CHAMOU, préserver la culture mahoraise

Quart de Lune

Sika Mila

L'iconique musicien mahorais est revenu pour Africa Vivre sur sa carrière, ses combats et les valeurs dont sa musique se fait vectrice.

Rencontre avec un artiste incontournable qui déclare : "Mayotte a besoin de sa culture pour se relever, s'identifier, se montrer et évoluer." 

Comment êtes-vous tombé amoureux de la musique ?

M’Toro Chamou : Je viens d’une île africaine où on parle swahili et où la musique est très présente, je suis tombé amoureux de la musique. Chez nous, tout va avec la musique. Quand on cultive ou pile le riz, on chante ; quand on va dans les champs, on chante aussi ; pour un mariage on chante également,on  danse. La musique fait vraiment partie de notre culture.

Pouvez-vous nous parler du mgodro, ce style musical typiquement mahorais ?

M' Toro Chamou : Au Sénégal c’est le mbalax, au Congo c’est le soukouss ou la rumba ; à Mayotte, c’est le mgodro qui ressort. Le mgodro m’a beaucoup influencé, car il fait partie des rythmiques qui me plaisent beaucoup. On peut aussi dire qu'il s'agit d'un parent lointain du salegy malgache ou du bikutsi camerounais, avec un accent qui change. Sinon, à Mayotte, on a aussi le biyaya, le gaboussi ou le chakacha. On trouve beaucoup de rythmiques différentes sur notre île.


Pourquoi avez-vous choisi le nom de "M' Toro Chamou" ?

M' Toro Chamou : A Mayotte, on ne parle pas beaucoup de la colonisation et de l’esclavage. Avec ce nom, j’ai choisi de rendre hommage à un esclave résistant.

Baco et Mikidache vous ont beaucoup inspiré...

M' Toro Chamou : D’habitude les gens de ma génération adorent Marvin Gaye, mais moi je suis tombé amoureux des musiciens de mon pays ! J’ai beaucoup travaillé avec Mikidache, c’est un bon guitariste avec une belle voix qui va avec – on ne peut qu’aimer sa musique. Et j'aime beaucoup Bako aussi.

Vous aimez utiliser des instruments traditionnels mahorais, comme les n'gomas, sortes de tambours. Pouvez-vous nous en dire quelques mots ?

M' Toro Chamou : Chez nous, il existe deux sortes de grandes rythmiques : soit les musiques religieuses, soit les musiques festives. Les n’gomas, dont les taris, accompagnent souvent la musique religieuse ; mais actuellement Mayotte se modernise aussi…

Vous avez commencé à faire du hip-hop. Quel souvenir en gardez-vous ?

M' Toro Chamou : C’était du hip-hop à notre façon ! A cette époque, c’était compliqué pour les jeunes mahorais d’accéder à ce qui se passait à l’extérieur. Or, il se trouve que quelques frères et sœurs mahorais étaient partis en France ou aux Etats-Unis, et j’ai découvert une vidéo – c’était à l’époque d’IAM. On a alors eu l’idée de former un petit groupe de « hip-hop » à Mayotte, qui s’appelait M’Tsapéré – le nom de mon deuxième village. Cela a été comme une école de rue.


Vous collaborez actuellement avec Johan Saartave à la basse, Didier Dijoux à la batterie et Miguy Petrel en deuxième voix. Comment le travail se passe-t-il avec eux ?

M' Toro Chamou : Le travail se passe très bien avec eux. Ce sont des musiciens réunionnais, mais on a beaucoup de choses en commun. Les rythmiques mahoraises se rapprochent assez des rythmiques réunionnaises ; on est complémentaires. Avec Miguy nous nous connaissons depuis vingt ans, avec Didier depuis dix ans et John depuis cinq.

Comment l'inspiration vous vient-elle, d'habitude ?

M' Toro Chamou : Je viens d’une île où il y a beaucoup de choses à dire – au niveau culturel, politique, ou religieux. Il y a beaucoup de choses à dire, surtout en ce moment. Mais je ne veux pas voir que les problèmes de mon île, et j’essaye aussi de voir ce qui se passe ailleurs.

Qu'avez-vous voulu dire avec votre chanson "Mwengé", qui se trouve sur votre dernier album, "Sika Mila" (2019) ?

M' Toro Chamou : A mon avis, Mayotte a besoin de sa culture pour se relever, s’identifier, se montrer et évoluer. Je crois que la base de tout est notre propre culture, et je trouve qu’à Mayotte, on ne parle pas assez de nous, on ne se met pas assez en valeur, et jusqu’aujourd’hui on ne trouve pas de vraie politique culturelle à Mayotte. Mayotte a peur de parler des Comores, Mayotte a peur de parler de l’Afrique, c’est comme si Mayotte avait peur de parler d’elle-même. On est un peu perdus à Mayotte, et je pense qu’il faudrait qu’on revienne un peu en arrière – pour voir comme le partage et la cohabitation existaient, alors qu’à présent, on parle surtout des vols et des clandestins… C’est comme si la France arrachait Mayotte petit à petit et installait une sorte de malaise entre Mayotte et les autres îles. Avec la chanson "Mwengé", j'ai voulu parler de ça.

Votre dernier album s'appelait d'ailleurs "Sika Mila", qui veut dire "Préserve ta culture" en shimaoré...

M' Toro Chamou : Oui, « préserve ta culture » ou « saisis ta culture ». Je trouve que ça fait partie des choses essentielles. Au moins quand on ne sait pas où on va, il faut savoir d’où l’on vient – mais chez nous, c’est l’inverse… Notre culture, selon moi, est là pour nous guider et trouver le chemin de demain.

Vos clips sont particulièrement bien réalisés. Gardez-vous un oeil dessus de très près ?

M' Toro Chamou : L’œil que je garde pour les clips est de dire un peu ce que je veux et le message que je veux transmettre. Ensuite, je choisis un réalisateur et je lui fais entièrement confiance. Je veux que ceux qui ne parlent pas swahili comprennent quand même le sens de la chanson grâce au clip – montrer ou dénoncer ce qui se passe chez moi, et surtout transmettre un message de paix sans bousculer qui que ce soit.

ZOOM

La chanson "Radio Tranganika"

Comment la chanson "Radio Tranganika" a-t-elle vu le jour ?

M' Toro Chamou : C’était par rapport à mon père, qui s’amusait à réparer des radios dans son temps libre, et j’ai beaucoup écouté ses musiques. Mon grand-père, c’était pareil. Ils voulaient trouver une radio qui leur ressemble, et ils cherchaient tout de suite à capter les postes tanganikais – ils voulaient savoir ce qui se passait au Kenya, au Zanzibar. Ils se sentaient concernés. Nos vieux savaient exactement d’où ils venaient.


Aujourd’hui, alors qu’on a Internet, l’électricité et tout ce qu’il faut pour communiquer avec le monde, les mahorais souvent n’essayent pas aujourd’hui de savoir ce qui se passe en Afrique. Je trouve qu’à l’époque il y avait plus d’ouverture.

Il ne faut pas oublier qu’on partage le même langage ! Le shimaoré vient du swahili ! Pourquoi on insiste sur les divisions ? « Je t’aime toi mon Afrique » dit la chanson « Radio Tranganika »...

Matthias Turcaud