République Démocratique du Congo / république-démocratique-du-congo

DANS LE VENTRE DU CONGO, contre la déchirure de l'ignorance

Seuil

La perte du patrimoine matériel et immatériel

Retour sur un roman nécessaire et important qui doit servir de "Nyota" en swahili, à savoir d'étoile pour nous guider dans une nuit bien ténébreuse.

Des monarchies rayonnantes, des rois puissants, des seigneurs de guerre les plus vaillants, des artistes remarquables par leurs œuvres... voilà ce qui constituait l'Afrique précoloniale bien avant Otto Van Bismarck et sa fameuse conférence de Berlin de 1885. Loin de s'apparenter à un récit nostalgique, Dans le ventre du Congo nous ramène au cœur de cette Afrique foisonnante qui a été une épine douloureuse au pied du colon. Celle dont les soubresauts inattendus ont conduit à son quasi effacement.

Mais le narrateur n'est pas un historien, c'est après plusieurs pages que le lecteur découvre dans l'Afrique précoloniale et ses monarchies, dont il est question, une référence aux pères et à la genèse d'une civilisation qui ne s'éteindra jamais. Une autre façon, donc, de relater autrement une Afrique longtemps réduite aux récits qui ne commencent qu'à l'arrivée des premiers explorateurs blancs. Ce roman est une rupture d'avec l'Afrique racontée par « l'autre ».


Le passé de l'Afrique, fil à coudre dans le mât de l'aiguille du narrateur, permet de refermer la déchirure de l'ignorance que le temps a laissé s'agrandir. Cette déchirure est celle d'une génération qui ne sait se trouver un repère à l'image d'une Nyota, « l'étoile à qui le fleuve demande son chemin », selon le vieux dicton connu. Le passé c'est donc cette étoile dont le pays a besoin pour demander son chemin. Une réinsertion du peuple dans son propre destin qu'il hésite à reprendre en main.


L'exposition de Bruxelles de 1958 est l'élément déclencheur de ce récit. Cet évènement historique constitue le ressort sur lequel prend élan le narrateur pour bondir aussi haut dans des comparaisons et des ironies de tous genres. C'est dans ce zoo humain que commence le drame de Nyota. Drame qui va endeuiller toute une famille et imposer le long périple d'une seconde Nyota à la recherche de la vérité méconnue. Deux Nyota ! Voilà qui est bien étrange ! Celles que le narrateur appelle les Ndoyi sont une manière de mettre en scène deux générations d'une même civilisation séparées d'un fossé, un vide béant. Ce même vide qui cause aujourd'hui des tâtonnements dans la longue marche des « petits fils » livrés à eux-mêmes par manque de repères.

Le roman tisse aussi subtilement que joliment cette vérité à travers un "tu" vocatif qui interpelle à la fois Nyota, la nièce, d'ailleurs véritable protagoniste du récit, symbole d'une nouvelle génération, et Kena Kwete III, le monarque kuba, symbole de la génération des pères. Ce choix de raconter le récit à la deuxième personne du singulier n'est pas gratuit, il place Tshala Nyota Muelo au milieu de deux générations tout à fait opposées à travers un jeu mutuel d'interpellations et parfois d'accusations. Tshala Nyota Muelo, princesse kuba, est la représentation d'une génération en mutation, une génération hybride au contact de l'ancien et du nouveau, un nouveau monde en proie à la mondialisation. Hélas ! Une mondialisation mal accueillie et mal comprise qui précipitera la nouvelle génération, droit vers l'effacement des repères identitaires. C'est ainsi que le roman s'ouvre, à la manière d'une tante qui apprend l'histoire et la tradition à sa nièce - l'image avunculaire est toujours très symbolique dans la culture congolaise, l'oncle est le porteur de la culture traditionnelle -, là le pont est jeté.

Le lecteur ayant appris l'histoire, se lie ensuite à côté de Nyota, cette nièce, pour l'accompagner dans la recherche des restes d'une tradition perdue en vue de se résoudre à un malaise qui le maintient dans une angoisse existentielle permanente liée à son identité. Sa quête devient alors le lieu d'interpellation du grand-père, ancienne génération, qui n'a pas su se détacher d'une rancune et d'un mal qui ne sait pardonner.


Ce roman, écrit avec grand brio, dresse une sorte de panorama sur tous les aspects du mal actuel au Congo et en Afrique : du tribalisme actuel à la perte des patrimoines culturels matériels et immatériels. Dans le ventre du Congo est un feuillet d'histoire non-enseignée dans nos écoles. Le narrateur va des peines des fouets infligés par le colon au revendication de l'identité à travers les noms du terroir en passant par la sculpture, la musique à travers un Wendo Kolosoy qui a fait de sa vie une rébellion à l'ordre coloniale, la cuisine et l'alimentation sont également au rendez-vous avant un atterrissage satirique sur le zèle religieux qui s'inscrit aujourd'hui comme l'indicateur d'une société en quête de la guérison sociale (p. 304), sans oublier les premières traces du droit humanitaire avec Bolongongo, roi Kuba qui proscrit l'usage des armes létales et établit la guerre à mains nues par nécessité de défense,... Le tout dans une écriture soutenue qui nous emporte quelque fois telle une poésie de Senghor.

Le narrateur s'amuse à donner la parole à des personnages historiques tels que Lumumba, Mobutu, Wendo Kolossoy... en les décrivant dans des lieux insoupçonnés où le lecteur ne pouvait jamais les imaginer. Une manière de rendre l'humanité à ces figures dont les récits nous sont toujours parvenus sous forme d'épopées surhumaines.

Le parallélisme entre l'expo 58 et le salon de l'automobile où la femme qui pose à côté de ces berlines n'est considérée que comme un objet de décor sans aucune personnalité, choque le lecteur tout en l'invitant à rejoindre Nyota dans sa quête. Tout cela dans un léger balancement de musique, car on a l'impression d'écouter la musique de Wendo jouer en sourdine tout au long de la lecture, du moins pour ceux qui connaissent ce virtuose de la musique congolaise !

Ce roman est un pont d'échange entre le passé africain et sa modernité. Une vraie merveille littéraire, autrement dit !

ZOOM

L'histoire comme une "profonde connaissance de qui nous sommes à nos propres yeux"

Blaise Ndala est parti de Kinshasa en 2004 pour suivre des études de droit à l'Université Catholique de Louvain.

L'écrivain est longtemps tourmenté par le patrimoine culturel de son pays d'origine qu'il voit en Belgique dans des musées. C'est à croire qu'il repense à son pays et à toute une génération qui n'a pas connaissance de cette richesse culturelle. Une génération dont il fait lui-même partie.

Tout son travail sera donc orienté dans la réécriture de l'histoire des peuples par ces peuples-mêmes, bien loin de ce qui peut leur être proposé. Blaise Ndala cède à la princesse Tshala ce rôle de porte-voix.

Pour l'auteur, la découverte de l'identité passe par la reconnaissance et la connaissance du patrimoine culturel et de l'histoire de son peuple. Non pas pour le Congolais ni pour l'Africain, mais pour toutes les nations.

Israël Nzila Mfumu