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MOUNIRA MITCHALA : « Apporter ma pierre au développement du pays à travers mes chansons »

Lauréate du Prix RFI Découverte en 2007, Mounira Mitchala chante en arabe tchadien des chansons qui traversent les frontières par leur douceur et qui opèrent comme un baume sur les cœurs.

Africavivre : Pouvez-vous vous présenter en quelques mots ?

Mounira Mitchala : Je m’appelle Mounira Mitchala, c’est mon nom d’artiste. Et Mounira Khalil Allio est mon nom d’état civil. Je suis une artiste musicienne et je suis aussi greffière.

Africavivre : Comment l’envie de faire de la musique vous est-elle venue ?

Mounira Mitchala : L’envie de faire de la musique est venue très tôt. J’étais encore petite fille.

Quand on était encore en Allemagne, mon père était étudiant en linguistique. Comme il avait l’habitude de travailler sur des musiques traditionnelles de notre village et de notre région, j’écoutais de temps en temps. Je regardais aussi la télévision avec mes parents. Quand il y avait des danseurs je regardais, je les imitais…

Quand mon père a fini ses études, on est allé au Nigeria, en 1987-1988, puis au Tchad. J’ai continué à apprendre à chanter et à danser par moi-même ; c’est difficile d’avoir une formation ici, on n’a pas d’école… J’ai appris à chanter toute seule, à travers tout ce que j’ai écouté, regardé, enregistré. J’ai demandé à mes parents si je pouvais faire de l’art mon métier, ils m’ont fait comprendre que même si je voulais faire ce que je voulais il fallait que j’étudie, donc j’ai continué à étudier.

Mounira-Mitchala-tchad

A partir de l’âge de 16 ans, j’ai commencé à faire du théâtre à l’école Thilam Thilam, et j’ai profité aussi de l’occasion pour faire des interprétations musicales pour présenter mon établissement aux autres. C’est comme ça que j’ai appris petit à petit. En 2001 j’ai chanté ici à l’IFT, qui s’appelait à l’époque le Centre Culturel Français. Le lendemain, le journal « Le Progrès », un quotidien, a parlé de moi, et ça m’a beaucoup encouragé. Ca m’a donné de la confiance et ça m’a rassuré. J’ai décidé de composer et d’écrire mes premières chansons, j’ai aussi appris des artistes internationaux qui venaient au CCF pour faire des spectacles. Je les rencontrais et je discutais avec eux.

Surtout je n’ai pas cessé de travailler toute seule à la maison, jusqu’à ce que je rencontre Michèle Lhopiteau, un chef d’orchestre. Il m’a mis en contact avec Frédéric Galliano, qui avait un groupe du nom d’African Divas. Je l’ai intégré et nous sommes partis en tournée en Afrique centrale, en France et aux Etats-Unis. Ca m’a appris à gérer une scène, à bouger. J’étais encore débutante, j’étais trop timide et ça m’a vraiment beaucoup aidée.

Michèle Lhopiteau m’a mis en contact aussi avec Christian Mousset. Dès que j’ai fini mon premier album, je l’ai envoyé à Christian Mousset, qui a accepté de me produire. Une année plus tard, en 2007, j’ai obtenu mon Prix Découverte RFI, ce qui m’a ouvert toutes les portes jusqu’à aujourd’hui.

Africavivre : Sur quoi chantez-vous en particulier ?

Mounira Mitchala : Je chante sur tout ce qui se passe autour de moi, sur tout ce qui se passe dans la société. Comme j’ai une formation de juriste je parle beaucoup du droit de l’enfant, du droit de la femme, de l’avancée du désert - pour protéger l’environnement. Je parle aussi de l’excision ; il faut lutter contre l’excision.

Je ne prends que des thèmes qui amènent les gens à réfléchir et à prendre conscience du mal qui nous entoure pour l’éradiquer. Par exemple, dans mon premier album, la chanson « Talou Lena », qui m’a permis de gagner mon Prix RFI Découverte : ça parle de l’union et de la paix entre les Tchadiens. Il faut reconnaître que le Tchad a connu beaucoup de guerres et nous en vivons les conséquences jusqu’à aujourd’hui. Si on veut connaître le développement il faut avoir la paix : c’est pour ça que j’ai créé « Talou Lena ».

« Kouloudji » parle de la décision de la femme à décider elle-même de sa vie. Sur le second album – « Indépendance », produit par José Da Silva - j’ai parlé de lutte contre la corruption, avec la chanson « Hagguina ». Nous devons donner de bons exemples pour les générations futures et nous n’avons pas à voler le bien de l’Etat…


Je parle toujours bien sûr des droits de l’enfant comme de ceux de la femme : « Indépendance », qui a donné son nom à l’album, parle du combat que la femme doit mener pour acquérir son autonomie et son indépendance. Le sujet de l’environnement me tient aussi beaucoup à coeur, car le Tchad est un pays désertique. Le désert avance beaucoup plus avec les tempêtes de sable, les saisons qui se mélangent ; donc j’aime apporter ma contribution au développement de mon pays à travers mes chansons.

Je ne crée pas seulement de la musique pour que les gens dansent, boivent et fassent la fête. Je veux qu’ils écoutent pour réfléchir et agir dans leur quotidien.

Africavivre : Des artistes vous ont-ils inspirée en particulier ?

Mounira Mitchala : Oui, bien sûr. Miriam Makeba. Ainsi qu’Ismaël Lo et Tiken Jah Fakoly.

J’aimais beaucoup aussi Whitney Houston quand j’étais jeune. C’est grâce à elle que j’ai appris à chanter. J’imitais beaucoup ses chansons, comme celles d’autres américaines noires qui font du jazz, parce que si vous n’avez pas quelqu’un qui vous dit « Ceci est juste » et « Ceci est faux », ce n’est vraiment pas facile.

J’ai appris et, après avoir appris, j’ai eu la chance de rencontrer Michèle Lhopiteau qui m’a aidée à ajuster ma voix, parce que je ne savais pas à cette époque qu’il fallait chauffer sa voix avant de chanter. J’ai chauffé ma voix et je me suis rendu compte que ma force était dans les graves. Je crois que la meilleure école c’est l’expérience.

Africavivre : Voyez-vous au Tchad beaucoup de jeunes femmes qui aimeraient devenir chanteuses ?

Mounira Mitchala : Beaucoup de jeunes femmes tchadiennes aimeraient devenir chanteuses, mais la tradition pèse.

Il y a quelques mois j’ai essayé de réunir quelques femmes pour faire un spectacle – à l’occasion des dix ans du Prix RFI, au cinéma « Le Normandie ». Au début on avait bien commencé, mais après quelques-unes se sont rétractées, parce que leur père ou leur mari ne voulait pas qu’elles participent. Il est temps que la femme africaine et la femme tchadienne décide elle-même ce qu’elle veut. On ne peut pas continuer à laisser les autres décider à notre place.

Dans notre famille, nous sommes cinq filles et trois de mes sœurs font de l’art ou de la musique. Nous avons eu la chance d’avoir des parents ouverts qui nous laissent faire ce que nous aimons ; c’est cependant encore timide au Tchad. Ce n’est pas encore facile au Tchad pour les filles qui veulent faire de l’art ; pas comme au Gabon, en Côte d’Ivoire ou à Kinshasa. Je leur demande de s’y mettre, parce que personne ne peut le faire à leur place, mon expérience peut en attester.


Africavivre : Depuis que vous êtes dans la musique - 2001, donc 17 ans -, avez-vous quand même l’impression que les choses ont bougé au Tchad ?

Mounira Mitchala : Les choses changent tout doucement. En 2001, quand on organisait un spectacle, il n’y avait pas assez de public ; mais aujourd’hui il y en a assez, la salle est remplie et en plus de cela les hommes et les femmes sortent maintenant ensemble. Quand je joue devant ce public-là, je profite de l’occasion pour expliquer ma chanson avant de la commencer. Ca m’arrive même de discuter avec le public !

ZOOM

Mounira Mitchala et son public

Africavivre : Quel rapport entretenez-vous avec votre public ?

Mounira Mitchala : Le public tchadien était très timide quand j’ai commencé à faire de la musique. Aujourd’hui les jeunes le sont beaucoup moins. A l’étranger cela dit j’ai rencontré un public beaucoup plus vivant, que ce soit à Kinshasa, au Cameroun, au Gabon : partout où je vais le public est vivant. Si le public vous soutient, ça vous encourage et ça vous donne beaucoup plus de force, d’assurance et de confiance en vous-même.

Avec le public, à cause du poids de la tradition, ce n’est pas aussi facile quand on est une femme, au vu du poids de la tradition. On croit que vous êtes là juste pour vous faire voir, alors que moi je sais exactement ce que je veux. Pour moi l’art est un travail comme être greffière ou juriste et je préfère encore l’art, parce qu’à travers l’art et la musique je peux transmettre tout ce que je pense – au niveau du droit de la femme, de l’enfant, de la protection de l’environnement.

Le public est très important pour moi, car grâce à lui j’ai obtenu tous mes prix. J’ai eu le Prix Kora, grâce aux votes des femmes. S’il n’y avait pas eu le public, je ne serais pas ce que je suis.

Propos recueillis par Matthias Turcaud à N’Djaména le 1er juin 2018